Peut-on hypnotiser quelqu'un et l'obliger à commettre un acte contre sa volonté ?

En particulier dans un état de somnambulisme profond

Peut-on hypnotiser quelqu'un et l'obliger à commettre un acte contre sa volonté ?
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Depuis l'origine se pose la question de savoir si l'on peut contraindre une personne hypnotisée.

En particulier dans un état de somnambulisme profond.

1784, Puységur, élimine d'emblée la possibilité de suggestion criminelle

Le premier à ouvrir le débat est Puységur, sa conception est que c'est la volonté de l'opérateur qui agit. Voir sa maxime : "Croyez et Veuillez !" qui s'adresse au magnétiseur et non au sujet. Et donc, si c'est la volonté du magnétiseur qui agit, il y a un risque, si le magnétiseur est animé par des motifs malhonnêtes, qu'il manipule et asservisse son somnambule.

J'ignore si l'on peut vouloir le mal aussi fortement que le bien - Si cela est, que n'y aurait-il pas à craindre des effets du magnétisme animal entre les mains de mal honnêtes gens.[1]
un malhonnête homme va donc pouvoir pénétrer des secrets, abuser de la confiance de ses amis et se venger impunément de ses ennemis.[2]

Sa réflexion l'amène à concevoir de ne partager sa technique qu'avec des personnes prudentes et honnêtes.

Quoi qu'il en soit, il en sera de ce moyen comme de la poudre à canon, qui, entre les mains des scélérats, sert à l'accomplissement de leurs complots, et dont on à rien à craindre étant maniée par des gens prudents et honnêtes.[3]

Deuxième précaution, il estimera que si le magnétisme peut tomber entre de mauvaises mains, il faudra d'abord que le malade accepte consciemment de se faire magnétiser par un "scélérat", ce qui le garantit contre l'abus. C'est-à-dire que pour Puységur, c'est lorsque le sujet est conscient qu'il peut s'opposer, mais il en devient incapable lorsqu'il est en état de somnambulisme.

Il y aura toujours du moins, dans l'emploi du magnétisme animal, l'avantage de n'avoir pas à craindre la surprise : on ne peut être magnétisé malgré soi, et la confiance dans un magnétiseur devra toujours être le préliminaire des secours que l'on en attendra.[4]

Ce n'est pas la position de Victor Race, le premier somnambule artificiel, ni des autres somnambules. Car, ce sera l'une des premières questions que Puységur, lui posera.

Il a donc fallu me borner à demander aux malades (en crises magnétiques) leur façon de penser sur cette difficulté : tous m'ont assuré conserver dans cet état, leur jugement et leur raison, et m'on ajouté qu'ils s'apercevraient bien vite des mauvaises intentions qu'on pourrait avoir sur eux, qu'alors leur santé en souffrirait et que cela les porterait à se réveiller sur le champ.[5]

La position de Victor et des somnambules est donc très clairement opposée à la croyance de Puységur. Ils disent et répètent qu'ils peuvent outrepasser la volonté du magnétiseur s'ils l'estiment nécessaire.

Et, finalement Puységur, arrivera à la conclusion que l'on ne peut pas contraindre un patient même en état de somnambulisme.

De manière plus intéressante il montrera que même si la personne en état d'éveil, s'attend à être influencée et est persuadée qu'elle sera influencée, elle garde la capacité de s'opposer pendant le somnambulisme.

Je questionnais un jour une femme [Geneviève] en état magnétique, sur l'étendue de l'empire que je pouvais exercer sur elle : je venais (sans même lui parler) de la forcer, par plaisanterie, de me donner des coups avec un chasse-mouche qu'elle tenait à la main, "Eh bien, lui dis-je , puisque vous êtes obligée de me battre, moi qui vous fais du bien, il y à parier que, si je le voulais absolument, je pourrais de même faire de vous tout ce que je voudrais ; vous faire déshabiller, par exemple, etc" ... Non pas, Monsieur, me dit-elle, il n'en serait pas de même : ce que je viens de faire ne me paraissait pas bien, j'y ai résisté longtemps mais comme c'était un badinage, à la fin j'ai cédé puisque vous le vouliez absolument : mais quant à ce que vous venez de dire, jamais vous ne pourriez me forcer à quitter mes derniers habillements : mes souliers, mon bonnet, tant qu'il vous plaira, mais passé cela, vous n'obtiendriez rien."
Une fille (c'était Catherine Montenecourt) était présente à cette conversation, et tout en riant, se permettait de plaisanter et de dire, que dans l'état de Geneviève on pourrait pousser les choses aussi loin qu'on le voudrait; qu'enfin elle n'était nullement persuadée de tout ce que cette femme venait de dire.
J'eus l'occasion de mettre, une demi-heure après, [Catherine] dans l'état magnétique, et aussitôt qu'elle y fut, je lui fis les mêmes questions qu'à Geneviève; ses réponses furent absolument les mêmes [que celles de Genevieve en état magnétique, c'est à dire que ce serait impossible de la forcer à se déshabiller]. Je lui rappelais ce qu'elle venait de me dire dans l'état naturel... Ah bien, me répondit-elle, je ne vois pas de même à présent. « Mais enfin » lui dis-je, si je voulais absolument vous faire ôter vos habillements, qu'en résulterait-il ? Je me réveillerais, Monsieur cela produirait chez moi le même effet que le coup que je me suis donné dans le côté il y a quelques jours et j'en serais bien malade. »
J'avais réveillé Geneviève pendant cet entretien et une fois dans l'état naturel, elle avait pris le rôle précédent de Catherine[convaincue donc que Catherine en état somnambulique ne pourrait pas s'opposer à son magnétiseur].
Tous les malades, témoins de cette double scène, eurent beau l'assurer qu'elle [Geneviève] avait parlé comme elle [Catherine], rien ne put la persuader.

Le problème est donc réglé. La volonté du magnétiseur n'est pas toute puissante.

Et, même si le sujet à la conviction à l'état vigile qu'il est incapable d'échapper à la contrainte, cela ne peut suffire à l'obliger à faire ce qu'il refuse de faire. Un patient en état de somnambulisme ne fait que ce qu'il veut bien faire, il ne peut être contraint à faire ce qu'il ne veut pas faire.

1784, Bailly affirme la possibilité de corruption des moeurs

C'était aussi le but de la commission royale de savoir si le magnétisme pouvait entraîner des comportements immoraux ou troubler l'ordre public. Bailly répondra dans son rapport secret par l'affirmative et que le magnétisme peut entraîner la corruption des mœurs. C'est ce qui motivera sa demande d'interdiction.

L’homme qui magnétise a ordinairement les genoux de la femme renfermés dans les siens; les genoux et toutes les parties inférieures du corps sont par conséquent en contact. La main est appliquée sur les hypocondres, et quelquefois plus bas sur les ovaires; le tact est donc exercé à la fois sur une infinité de parties, et dans le voisinage des parties les plus sensibles du corps.
Souvent l’homme, ayant sa main gauche ainsi appliquée, passe la droite derrière le corps de la femme : le mouvement de l’un et de l’autre est de se pencher mutuellement pour favoriser ce double attouchement. La proximité devient la plus grand possible, le visage touche presque le visage, les haleines se respirent, toutes les impressions physiques se partagent instantanément, et l’attraction réciproque des sexes doit agir dans toute sa force. Il n’est pas extraordinaire que les sens s’allument; l'imagination, qui agit en même temps, répand un certain désordre dans toute la machine; elle surprend le jugement, elle écarte l’attention, les femmes ne peuvent se rendre compte de ce qu’elles éprouvent, elles ignorent l’état où elles sont.
Le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les moeurs. En se proposant de guérir les maladies qui demandent un long traitement, on excite des émotions agréables et chères, des émotions que l’on regrette, que l’on cherche à retrouver, parce qu’elles ont un charme naturel pour nous, et que physiquement elles contribuent à notre bonheur; mais moralement, elles n’en sont pas moins condamnables, et elles sont d’autant plus dangereuses qu’il est plus facile d’en prendre la douce habitude. Un état éprouvé presque en public, au milieu d’autres femmes qui semblent l’éprouver également, n’offre rien d’alarmant; on y reste, on y revient, et l’on ne s’aperçoit du danger que lorsqu’il n’est plus temps. Exposées à ce danger, les femmes fortes s’en éloignent, les faibles peuvent y perdre leurs moeurs et leur santé. »

Pour Bailly, c'est le dispositif de la pratique du magnétisme animal qui est dangereux car il implique le rapprochement des corps. C'est ce rapprochement qui induit le danger, pas le magnétisme puisque Bailly conclut qu'il n'existe pas.

1818, Deleuze confirme qu'un somnambule ne transgressera pas ses valeurs

Il est soumis à la volonté de son magnétiseur pour tout ce qu'il ne peut lui nuire, et pour tout ce qui ne contrarie pas en lui les idées de justice et de vérité.[6]

1843, La position de Braid

l'état hypnotique ne peut être déterminé, à aucune de ses périodes, sans le consentement de la personne opérée[7]

et plus loin, il répète la même assertion en d'autres termes

Personne ne peut y être soumis, à aucune période, à moins de consentement libre.

1883, Maudsley est sur la même ligne.

Le somnambule ne fera pas un acte indécent ou criminel, un pareil acte produit un trop grand choc sur sa sensibilité, il réveille des fonctions suspendues.[8]

1884, Liégeois, relance le débat sur la suggestion criminelle et déclenche la panique.

La discussion est relancée par Liégeois, en 1884 dans un mémoire[9] qu'il soutient devant l'académie des Sciences Morales et Politiques et qui entraine une intense discussion d'avril à mai 1884. Il y affirme, avec des expériences, que l'on peut contraindre un somnambule à faire tout ce que l'on veut.

Sa méthodologie était le "crime de laboratoire" : On hypnotise un sujet et on lui demande de faire quelque chose : tuer, voler, mentir, boire du poison, s'accuser d'un crime, etc... Et, chaque fois le sujet (choisit pour sa confiance ou sa docilité) fait tout ce qu'on lui demande..

Bref, pour lui, la preuve est faite que l'on peut tout obtenir d'un sujet en transe somnambulique.

L'hypnotisme, dit Charles Féré, peut devenir un instrument de crime d'une effrayante précision, d'autant plus terrible qu'immédiatement après l'accomplissement de l'acte tout est oublié, l'impulsion, le sommeil et celui qui l'a provoqué. De nombreuses observations de Bernheim, de Liegeois, de Luys ont en effet montré qu'on peut suggérer au sujet endormi l'idée d'une action criminelle qu'il accomplira scrupuleusement à l'heure fixée sans en conserver ensuite aucun souvenir. Mais, il faut bien le dire, ces faits ne sont que des expériences de laboratoire et jusqu'ici on n'a pas eu à rechercher en justice ce supplément de perfidie chez les criminels.

Ce n'est plus la théorie de la volonté toute puissante du magnétiseur. Braid est passé par là et à supprimé toute notion d'influence de l'opérateur. C'est la théorie de l'inhibition de la volonté par le sommeil.

Toute personne mise en état de somnambulisme devient, entre les mains de l'expérimentateur, un pur automate, tant sous le rapport moral que sous le rapport physique.[10]
Dans l'inertie d'attention où ils sont arrivés, ils ne peuvent se défendre d'accepter les idées que celui-ci (l'endormeur) leur impose ; ils tombent en son pouvoir, ils deviennent son jouet : illusions, hallucinations, croyances fausses, perte de sens moral, impossibilité de résister aux suggestions vers le vice, mise à exécution des projets les dangereux plus pour soi ou pour les autres, etc., l'endormeur peut tout développer dans l'esprit des somnambules et le leur faire mettre à exécution, non seulement dans leur état de sommeil, mais encore après qu'ils en sont sortis.[11]

Pour Liegeois, les suggestions post-hypnotiques permettent tout.

Je montrais, par des expériences qui parurent à beaucoup très hasardées et peu concluantes, que, chez certains sujets, il est possible de produire, par des moyens très variés, un somnambulisme profond ; que, dans cet état, on peut suggérer à la personne endormie des sensations, des hallucinations, et, chose plus grave, des actes que, une fois éveillée, elle accomplira avec une inconscience absolue.[12]
Je tirais de là cette conséquence que, un crime étant commis par suggestion, l'auteur du fait matériel doit être tenu pour irresponsable, que, seul, l'auteur de la suggestion doit être recherché et puni.[13]

Parmi les hypnotistes, cela entraine un clivage très fort.

La position de l'école de Nancy

Pour l'école de Nancy, la suggestibilité étant normale, physiologique, tout est possible. C'est parce que le somnambule est dans le sommeil hypnotique qu'il ne peut s'opposer à une suggestion qu'elle qu'elle soit.

La suggestibilité existe à l’état de veille, mais elle est alors neutralisée ou refrénée par les facultés de raison, par l’attention, le jugement. Dans le sommeil spontané ou provoqué, ces facultés sont engourdies, affaiblies; l'imagination règne en maîtresse; les impressions qui arrivent au sensorium sont acceptées sans contrôle et transformées par le cerveau en actes, sensations.
La modalité psychique ainsi modifiée, l’état de conscience qui se constitue rend le cerveau plus docile, plus malléable, plus suggestible, d’une part, plus apte, d’autre part, à réagir sur les fonctions et les organes par voie d’inhibition ou de dynamogénie; c’est cette aptitude exaltée par la suggestion que nous utilisons de la façon la plus efficace dans un but thérapeutique.[14]

Donc, pour l'école de Nancy tout un chacun peut devenir criminel sous l'action d'une suggestion.

C’est l’idée conçue par l’opérateur qui, saisie par l’hypnotisé et acceptée par son cerveau, réalise le phénomène, à la faveur d’une suggestibilité exaltée, produite par la concentration d’esprit spéciale de l’état hypnotique.[15]

Le sommeil entraine l'inhibition des facultés du somnambule qui ne peut plus s'opposer à ce qu'on lui ordonne.

L’état de conscience intervient pour modérer ou neutraliser l’action automatique, pour rectifier ou détruire les impressions fausses insinuées dans les centres nerveux. » Supprimez l’action inhibitrice de la conscience et de la volonté, vous obtenez l’automate primitif, le suggestionné que nous sommes tous avant le temps de la réflexion

La position de la Salpétriere

A la Salpétriere, on estime que ce n'est pas possible. Le somnambulisme est réservé aux hystériques et non à tous les sujets. C'est parce qu'ils sont hystériques qu'ils sont suggestibles (et donc somnambules). La suggestibilité témoigne de leur état névropathique mais ne change pas leur moralité. Et, Gilles de la Tourette, de lui répondre en 1887[16]

Pour l'école de la Salpétriere, le somnambule se prête au jeu que tant qu'il sait n'y a pas de danger. Mais si on exige de lui, même profondément hypnotisé, un acte qui viole ses valeurs : ça ne marche plus. Il refuse.

Il y a d'ailleurs des anecdotes savoureuses rapportées par Gilles de la Tourette, pour montrer que tant que le sujet sait que c'est une expérience, il tue, vole, ment, etc.. mais dès que cela va contre ses valeurs, rien n'est plus possible. Par exemple, Blanche Wittman, (la reine des hystériques) en somnambulisme refuse de se déshabiller (ça va revenir sans cesse !) malgré qu'elle vienne de tuer tout le monde et de s'accuser de tous les crimes possibles et imaginables.

un jour nous suggerons à W... qu'il fait tres chaud. En effet, elle s'eponge le front et déclare que la chaleur est insupportable.
"Allons nous prendre un bain ?"
"Comment avec vous ?"
"Pourquoi pas ? Nous allons aller aux bains froids; vous savez bien qu'à la mer on se baigne, hommes et femmes ensemble sans le moindre scrupule.
Elle semble peu convaincue; toutefois elle commence à retirer son corsage; mais, au moment d'enlever son corset, son corps tout entier se roidit, et nous n'avons que le temps d'intervenir pour éviter avec peine une attaque d'hystérie qui commence toujours chez elle de cette façon.
Nous devons ajouter que W... est assez pudique. Evidemment c'est pour cette raison qu'il s'est montré une révolte presque inconsciente, aboutissant au résultat que nous connaissons; car, dans des circonstances analogues, Sarah R... n'hésite nullement à quitter ses vêtements et à prendre un bain imaginaire.[17]

Une autre anecdote de Gilles de la Tourette rapportée aussi par Janet, toujours à propos de Blanche Wittman :

On venait de faire dans la salle du musée de la Salpêtrière devant de graves personnages, magistrats et professeurs, une grande séance de suggestions criminelles. Witt., le principal sujet, mise en état de somnambulisme, avait adopté sous l'influence de la suggestion les instincts les plus sanguinaires : elle avait sur le moindre signe poignardé, fusillé, empoisonné, la salle devait être pleine de cadavres et Liégeois aurait pu être satisfait.‌‌Les témoins graves se retirèrent très impressionnés laissant quelques élèves seuls auprès du sujet toujours en somnambulisme.‌‌Ceux-ci s'avisèrent de terminer la séance par quelque expérience moins lugubre et ils suggérèrent simplement à Witt., qu'elle était restée seule dans la salle, qu'elle se déshabillait complètement et prenait un bain.‌‌Witt., qui avait assassiné sans scrupules tous les présidents du tribunal fut prise d'une pudeur singulière à la pensée de se déshabiller et plutôt que de céder elle se laissa aller à une grande crise d'hystérie.

La position intermédiaire

Bernheim, oscille entre deux. Son opinion initiale est que dans l'état de "sommeil" la suggestion est toute puissante et que le somnambule est sans défense. Mais, Nancy n'est pas une école aussi structurée que celle de la Salpétriere et Liégeois, Liébeault ou Bernheim peuvent avoir des avis divergents. Il changera d'avis suite à l'intervention de Delboeuf.

_"M. Liegeois enseigne que rien n'est plus aisé que de faire commettre des crimes à des hypnotisés, et cette opinion, MM. Liébeaul et Bernheim penchent à l'adopter. Peut-être, cependant, M. Bernheim est il quelque peu ébranlé par les objections que je lui ai opposées À Paris, au contraire, à l'École de la Salpêtrière, M. Brouardel et, à sa suite, M. Gilles de la Tourette, sont d'avis que l'hypnotisé ne fait que ce qu'il veut bien faire, que ce qui n'est pas en opposition formelle avec ses habitudes, son éducation, son caractère".[18]

Finalement, il adopte une troisième position. La suggestion criminelle ne peut agir que sur un terrain préparé. Il est facile de pousser un criminel à faire un acte immoral.

Il retrouve la position de Puységur, de Faria et de Braid : la suggestion pour agir doit être acceptée.

Le sommeil provoqué ne dépend pas de l'hypnotiseur, mais du sujet; c'est sa propre foi qui l'endort; nul ne peut être hypnotisé contre son gré, s'il résiste à l'injonction.[19]

1896, Crocq tente de faire se déshabiller ses patientes et n'y arrive pas non plus

Si je suggère à Mmc X, en somnambulisme, qu'après son réveil elle doit mettre mon chapeau sur la tête de M. X..., elle obéit sans savoir pourquoi elle agit ainsi; si je lui ordonne qu'à son réveil elle doit me faire un bon de 1 000 francs, elle va vers la table, prend la plume, mais aussitôt elle la rejette brusquement. Je lui dis : « Que faites-vous? — Figurez-vous, me dit-elle, que j'avais envie de vous faire un bon de 1000 francs, c'est stupide. » Il y a eu combat entre son sens moral et la suggestion, le sens moral l'a emporté. Mme X..., n'a pas non plus obéi à l'ordre de se déshabiller.‌‌
Adrienne C. . . est endormie, je lui suggère qu'à son réveil elle devra mettre mon chapeau sur la tète de M. X..., elle obéit; je lui suggère qu'elle écrira : « Bon pour 1 000 francs, » elle obéit encore; je lui dis alors : « A votre réveil, vous écrirez un billet par lequel vous reconnaîtrez me devoir 1000 francs, » elle ne réalise pas la suggestion; de même elle ne se déshabille pas à son réveil quoique je le lui aie suggéré.[20]

Mais si la suggestion criminelle n'existe pas dans les faits, elle va cependant être utilisée abondamment.

Les juristes utilisent la notion de suggestion pour sanctionner les meneurs lors des actions de foule

A partir des travaux de Tarde, Le Bon et Luys et la sociologie naissante, qui mettent en avant la notion d'imitation (on retrouve les conclusions de Bailly en 1784)

Tarde (1890) : l'homme social est un hypnotisé.

Les juristes vont élargir la notion à la foule qui est conçue comme l'équivalent d'un hypnotisé, et confèrer au meneur une responsabilité accrue qui est déniée aux individus qui forment la foule.

La suggestion devient virale et c'est la métaphore de la contagion qui est utilisée. Le meneur étant le propagateur de la maladie, il doit être isolé et puni.

Les médecins quant à eux, utilisent la notion de suggestion criminelle pour faire interdire les spectacles.

En 1888, Delboeuf, publie une brochure[21] destinée au public belge, en réponse à une polémique sur la dangerosité de l'hypnose et voulant la reserver aux seuls médecins.

Il y écrit qu'en Belgique le statut de médecin ne confère aucune garantie puisque les Universités libres forment des médecins avec très peu de contrôles, il y nie l'existence d'accident dûs aux magnétiseurs de scène. Et ajoute que ce sont les magnétiseurs de scène qui ont tout appris aux médecins.

Bérillon en juin 1888 dans sa revue de l'hypnotisme, le critique vertement. En particulier le fait que Delboeuf affirme que ce sont les magnétiseurs de spectacles (ces commis-voyageurs ignorants et déclassés) qui ont initiés et transmis les savoirs-faire et les connaissances sur l'hypnotisme aux médecins.

Delboeuf qui est mathématicien et philosophe est peu impressionné par les arguments de Bérillon.

Laissez-moi ajouter que, si l'on faisait le compte des accidents vrais ou supposés dus aux magnétiseurs ambulants d'une part et aux médecins amateurs et inexpérimentés d'autre part, la comparaison serait loin encore d'être l'avantage de ces derniers.[22]

Le conflit va culminer lors du congrès de l'hypnotisme de 1889 à Paris, lors duquel les médecins, suite à l'intervention de Ladame (qui a appris l'hypnose en regardant Donato), vont voter des propositions portant sur la nécessité réglementer l’hypnotisme. Les principales demandes étaient l’interdiction des séances publiques d’hypnotisme et la réservation au corps médical de son utilisation.

1904, Albert de Rochas trompe une somnambule

Mais encore une fois, il s'agit d'une crime de laboratoire.

Bien que, comme tous les autres sujets, elle ne connaisse plus, depuis l’état de rapport, que le magnétiseur pour lequel elle témoigne la plus vive affection, ayant oublié complètement mari et enfants, elle conserve sa volonté et il m’a été impossible de lui faire exécuter une action déterminée qu’elle avait pris, à l’état de veille et sur ma prière, la ferme résolution de ne pas accomplir. Je suis parvenu cependant à tromper sa résistance par un subterfuge, parce que la vivacité de l’esprit s’était ralentie.[23]

1939, Les américains refont le chemin.

Barber

en 1939, Barber écrit un long article[24] et récapitule l'état de la question,

Il liste une longue série de crimes de laboratoire (prendre un serpent, jeter de l'acide sulfurique au visage de l'expérimentateur) avec les résultats habituels, sans que cela n'apporte rien à ce qui avait déjà été fait en 1888.

Dans le cadre de "crime de laboratoire", les sujets n'ont aucune raison de s'opposer aux demandes de l'hypnotiseur.

Erickson

Seule une étude d'Erikson[25] "échoue" selon l'appréciation de Barber, à faire commettre des "actes antisociaux" à ses patients somnambules.

En fait Erickson utilise un autre protocole que le "crime de laboratoire". Il fait en sorte que le patient s'attribue toute la responsabilité de son acte et ne puisse s'appuyer sur la confiance en l'hypnotiseur. Voici la consigne qu'il donne aux sujets hypnotisés : "Exécutez cet acte inapproprié. Faites-le parce que je vous dis de le faire. N'oubliez pas, si vous l'exécutez, vous êtes seul responsable."

Aucun patient, même en transe profonde, ne commet aucun des actes ordonnés.

De même, toute tentative d'imposer aux sujets hypnotiques, quelle que soit la profondeur de la transe, des suggestions inacceptables pour leur personnalité totale, conduit soit à un rejet des suggestions, soit à une transformation de celles-ci afin qu'elles puissent ensuite être satisfaites par un comportement de simulation (si souvent accepté comme valide dans les tentatives d'études du comportement antisocial induit par l'hypnose).[26]

Il refait aussi l'expérience devenue emblèmatique pour tester la volonté d'une somnambule : la faire se deshabiller. Avec les résultats habituels : un refus catégorique.

Plusieurs des sœurs de l'auteur, comme cela a été brièvement mentionné ailleurs, (Erickson, 1934) ont été hypnotisées séparément et ont reçu l'instruction de subir un examen physique complet en présence de leur mère, pour lequel elles devaient se déshabiller complètement. Chacune a refusé sans condition. On leur a demandé une explication, et elles ont répondu en déclarant que même si l'expérimentateur était leur frère et un médecin, elles ne pensaient pas qu'il était approprié pour lui de faire une telle demande, et aucune mesure de persuasion n'a réussi. Par la suite, à l'état de veille, la même question a été soulevée avec chacune d'elles, et chacune a consenti avec hésitation à la demande. Interrogés lors de la ré-hypnose sur cette apparente incohérence dans leurs attitudes, elles ont expliqué que le fait d'être examinée lorsqu'elles étaient éveillées leur donnait le sentiment d'avoir un meilleur contact avec l'ensemble de la situation, mais qu'en état de transe, étant endormies, elles avaient l'impression de ne pas savoir ce qui se passait.[27]

Weitzenhoffer

Pour  Weitzenhoffer[28] en 1949. Le fait que les patients savent qu'il s'agit de "crime de laboratoire" ne peut être contourné et donc la possibilité de commettre un crime sous hypnose est un problème mal posé et sans solution.

Il fait évoluer la question pour savoir s'il est possible d'obtenir grâce à l'hypnose des comportements opposés aux valeurs personnelles du sujet. Il ne s'agit plus d'une transgression des valeurs sociales. Mais d'une transgression des valeurs personnelles. En effet, l'individu sociopathe n'a pas besoin qu'on l'hypnotise pour qu'il transgresse les valeurs de la société.

L'expérience d'Erickson prend toute sa valeur. Lorsque l'acte est une transgression POUR le sujet, il refuse quoi que fasse ou dise l'hypnotiseur.

Le comportement de l'individu hypnotisé semble être entièrement fonction du modèle de stimulus tel qu'il est perçu par lui sous hypnose. Si la situation semble socialement, ou de toute autre manière, acceptable pour le sujet, il peut probablement être amené à commettre des actes "antisociaux". S'il perçoit la situation comme contraire à son propre système éthique, il est très peu probable qu'il puisse être amené à commettre des actes "criminels".[29]

Mais Weitzenhoffer laisse ouverte la possibilité que le sujet soit trompé et ne se rende pas compte qu'il transgresse ses propres valeurs.

Il semble à l'auteur qu'il existe une quatrième situation possible dans laquelle cela peut se produire. C'est lorsque le sujet ne perçoit pas la situation comme étant antisociale."[30]

Kline

Kline en 1958[31], en déduis qu'il ne devrait pas être difficile d'amener un patient à agir contre ses valeurs si l'on modifie sa perception de la situation de manière à lui interdire la prise de conscience du côté contraire à ses valeurs de l'acte qu'il est en train de faire.

Les résultats suggèrent fortement que l'obtention de l'objectif expérimental dépendait principalement de l'hypnotiseur et de la mesure dans laquelle il pouvait entrer dans l'acte et y participer lui-même. Le sujet n'est pas impliqué seul, mais fait partie d'une structure nouvellement créée et d'une référence de réalité dans la relation hypnotique. La perception subliminale de l'idéation, de l'affect et du comportement projectif de l'hypnotiseur a sans doute joué un rôle majeur dans la création des "conditions" qui ont amené le sujet à modifier son comportement de la manière dont il l'a fait et à accomplir une tâche pour laquelle il avait initialement une forte résistance et des défenses adéquates.

Mais finalement Kline aboutira à une étude sur la personnalité machiavélique capable de manipuler sans utilisation de l'hypnose.

Zimbardo

Il est le psychologue ayant monté l'expérience de Stanford où des étudiants jouaient le rôle de prisonniers et de gardiens de prison et qui a dû être arrêtée pour des violences exercées par les pseudo-gardiens sur les pseudo-prisonniers. On sait maintenant qu'il s'agissait d'une mise en scène[32]

Cependant, il a publié un article en 1933 sur le programme MKULTRA lors duquel la CIA a utilisé tous les moyens dont elle disposait, dont l'hypnose, pour tenter d'asservir et de prendre le controle de l'esprit de sujets[33], un échec.

_Les formidables quêtes visant à contrôler l'esprit humain ont souvent fait appel à des technologies exotiques. Des appareils de torture exquis, des électrochocs, des drogues altérant l'esprit, l'hypnose et la privation sensorielle ont tous été utilisés pour amener des personnes ciblées à se plier aux ordres de divers agents et agences de contrôle. En effet, ces méthodes sont suffisamment puissantes pour déformer et parfois détruire le fonctionnement normal de l'esprit. Mais elles ne permettent pas de diriger de manière fiable les comportement à travers des scénarios spécifiques, tels qu'ils ont été conçus par les agents de contrôle.[34]
_L'exposé de John Marks sur le programme secret de contrôle de l'esprit de la CIA (voir The Search for the "Manchurian Candidate") suggère qu'aucun moyen infaillible de "laver le cerveau" d'une autre personne n'a jamais été trouvé. Après une décennie de recherches intensives et coûteuses sur la technologie d'un tel contrôle, le programme MKULTRA de la CIA a été considéré comme un échec. Les opérations secrètes ne pouvaient guère prétendre à autre chose qu'à leur capacité à transformer des victimes sans méfiance en "légumes".[35]

Bref, là aussi impossible d'obtenir quoi que ce soit de patients hypnotisés.

Conclusion

Au total 250 ans de pratiques, de recherches et d'expériences qui n'ont cessé de montrer que l'on ne peut contraindre un sujet en transe, même somnambulique, à faire ce qu'il ne veut pas faire.


Puységur, Mémoire pour servir au magnétisme, 1784 ↩︎

Puységur, Mémoire pour servir au magnétisme, 1784 ↩︎

Puységur, Mémoire pour servir au magnétisme, 1784 ↩︎

Puységur, Mémoire pour servir au magnétisme, 1784 ↩︎

Puységur, Mémoire pour servir au magnétisme, 1784 ↩︎

Histoire critique du magnétisme animal, Deleuze, 1818, pge 185 ↩︎

Braid, Neurhypnologie, 1843, p. 18 ↩︎

Maudsley, Pathologie de l'esprit, 1867, traduct., 1883, p. 56 ↩︎

Liégeois, De Ia suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et Ie droit criminel, 1884 ↩︎

Liégeois, De Ia suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et Ie droit criminel, 1884 ↩︎

Liégeois, De Ia suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et Ie droit criminel, 1884 ↩︎

Liégeois, De Ia suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et Ie droit criminel, 1884 ↩︎

Liégeois, De Ia suggestion hypnotique dans ses rapports avec le droit civil et Ie droit criminel, 1884 ↩︎

Bernheim, Automatisme et suggestion, pge XV (1927) ↩︎

Bernheim, De la suggestion, 1886 ↩︎

Gilles de la Tourette, L'hypnotisme et les états analogues au point de vue médico-legal, 1887 ↩︎

Gilles de la Tourette, L'hypnotisme et les etats analogues, 1889 ↩︎

Delboeuf, Le magnétisme animal: A propos d'une visite à L'École de Nancy, 1889 ↩︎

Bernheim, revue médicale de l'est, 1884, p 556 ↩︎

Crocq, L'Hypnotisme Scientifique, 1896 ↩︎

Delboeuf, l'hypnotisme et la liberté des représentations publiques, 1888 ↩︎

Delboeuf, l'hypnotisme et la liberté des représentations publiques, 1888 ↩︎

de Rochas, les état profonds de l'hypnose, 1904 ↩︎

Barber, Antisocial and Criminal Acts Induced by "Hypnosis": A Review of Experimental and Clinical Findings, 1939 ↩︎

Erickson, An experimental investigation of the possible antisocial uses of hypnosis. Psychiatry, 1939, 2, 391-414 ↩︎

Erickson, Deep Hypnosis and Its Induction, 1952 ↩︎

Erickson, Collected papers 08, 1934 ↩︎

Weitzenhoffer, The production of antisocial acts under hypnose, 1949 ↩︎

Weitzenhoffer, The production of antisocial acts under hypnosis, 1949 ↩︎

Weitzenhoffer, The production of antisocial acts under hypnosis, 1949 ↩︎

Kline, The Dynamics of Hypnotically Induced Antisocial Behavior, The Journal of Psychology: Interdisciplinary and Applied, 1958, 45:2, 239-245 ↩︎

Le Texier, Histoire d’un mensonge, 2018 ↩︎

Susan M. Andersen and Philip G. Zimbardo, “On Resisting Social Influence,” Cultic Studies Journal 1.2 (Fall/Winter 1984): 201-202. Zimbardo (b. 1933) ↩︎

_Susan M. Andersen and Philip G. Zimbardo, “On Resisting Social Influence,” Cultic Studies Journal 1.2 (Fall/Winter 1984): 201-202. Zimbardo (b. 1933) ↩︎

_Susan M. Andersen and Philip G. Zimbardo, “On Resisting Social Influence,” Cultic Studies Journal 1.2 (Fall/Winter 1984): 201-202. Zimbardo (b. 1933) ↩︎