Tom, Adrien, Sébastien & ...
Peut-on créer une sous-personnalité dans un but thérapeutique ?
Tom, un jeune de 17 ans vient consulter. Il est dyspraxique, en échec scolaire, déscolarisé depuis des années, phobique social et en surpoids.
L’université et les études longues n’étant pas pour lui, il veut entrer dans l’armée. Mais, pour entrer dans l’armée, il faut un minimum scolaire. Et, donc, il consulte, car il veut perdre du poids, se muscler, gagner en confiance en lui, traiter sa phobie sociale. Il y a aussi le dossier MDPH, l’AVS, l’orthophoniste, la psychomotricienne, organiser le retour progressif à l’école.
Bref, je le prends en charge.
Première séance d’hypnose : il rentre en transe léthargique, c’est-à-dire qu’il ne se rappellera de rien sauf qu’il reste la bouche ouverte à baver des litres de salive sur son Tshirt. A part ça : rien, nada.

Deuxième séance : il tourne sur son buste sans articuler le moindre mot de toute la séance. Bon un progrès : il bave moins.
Troisième séance : il continue à tourner sur son buste, à essayer de parler.
A chaque séance, c’est comme si quelque chose tentait de se développer pour accéder à la maîtrise du corps et du langage.
Je vous la fais brève, une séance de plus pour que les lèvres bougent, une séance pour que l’air soit soufflé à travers des lèvres en cul de poule, une séance pour obtenir un son. Un « oui ».
Pour obtenir la parole automatique, c’est un peu laborieux, je vous l’accorde. C’est d’ailleurs rarement aussi difficile. "Dyspraxique", ça veut dire que l’écriture c’est pire.
A part ça, j’arrive quand même à mettre à profit les séances pour susciter une personnalité secondaire : Adrien 19 ans.
Adrien ne parle pas, mais les réponses flashent dans l’esprit de Tom qui peut les dire sur le moment, mais ne se souvient que de peu de choses ensuite. Adrien, est fort, martial, solide, courageux, un rempart contre le danger, il est là pour protéger.
Entre les séances, Tom se met au sport, perd 4 kg entre chaque visite, il a du perdre 16 kg maintenant. Il se lance dans le projet d'intégrer l’armée.
Mais ça se passe mal :
La première période se solde par une entorse grave de la cheville, la deuxième par une syncope la troisième par une pneumonie...
Autre problème, chaque fois qu’on lui parle un peu fort (et, à l’armée, ça arrive), il pleure... Il persiste.
Nouvelle séance.
Juste avant la séance, il révèle qu’il est accro aux jeux vidéos, il y passe plus de 10h par jour. Il avait oublié de me le dire et sa mère aussi d’ailleurs (on fait le point après chaque séance). Parfois, je me demande à quoi pensent les conscients.. Mais bon, c’est comme d’habitude, on fait avec.
Il me dit qu’il veut arrêter de jouer autant, commence à parler de difficultés, de sevrage, d’angoisse, d’échec..
ok, ok.
Allo Adrien ?
Adrien n’a pas grand-chose à dire. Il est là pour protéger. Adrien a le corps tendu, il est au garde-à-vous, c’est un guerrier.
A un moment, son visage, par ailleurs impassible, se tord.
Qu’est ce qui se passe ?
Il me répond : « conflit »
Ah ?!
Apparait Sébastien 17 ans. Sébastien est faible, fragile, a peur de la vie, il est angoissé, roulé en boule sur la chaise, sa voix est faible. C’est lui qui se réfugie dans le jeu.
Il connait Adrien, il en a peur.
Invocation d’Adrien.
Adrien connait aussi Sébastien et il le hait, car il est faible.
Quel est le résultat du conflit ? Adrien le révèle : le patient est divisé, détruit, ne peut apprendre ni grandir. Bon, le tableau est clair. C’est la guerre entre les deux personnalités secondaires. Le protecteur hait le faible et le faible sabote toute autonomie.
Première tentative auprès de Sébastien :
- Peux-tu recevoir de l’aide d’Adrien ?
- Non, il me fait peur
Deuxième tentative avec Adrien :
- Es-tu d’accord pour protéger Sébastien ?
- Non, je le hais.
Ok... Je vais voir Adrien :
- Adrien, est-il nécessaire de protéger les plus forts que toi ?
- Non
- Donc, ta fonction est de protéger les faibles ?
- Oui
- Sébastien est faible ?
- Oui
- Ok, donc ta fonction est de protéger Sébastien !
- Non, je le hais...
Hum, Hum...
Je recommence, toujours avec Adrien.
- Adrien, est-ce que le courage est un signe de force ?
- Oui
- Est-ce que le courage, c’est de se laisser dominer par la peur
- Non
- Est-ce que le courage, c’est de dominer la peur ?
- Oui
- Est-ce que se laisser dominer par ses émotions est un signe de force ?
- Non
- Donc, quand tu te laisses dominer par ta haine, fais-tu preuve de force ?
- Non
- Est-ce que dominer sa haine est un signe de force ?
- Oui
- Quel est ton rôle ?
- Protéger
- Quand tu refuses de protéger Sébastien, car tu te laisses dominer par ta haine, fais-tu preuve de force ?
- Non
- Qu’est-ce qui serait signe de force ?
- Dominer la haine
- Es-tu d’accord pour exprimer ta force en dominant ta haine afin de protéger Sébastien ?
- Oui
Ahhhhh !
Au tour de Sébastien, maintenant.
- Sébastien, que se passe-t-il si Adrien te protège ?
- Je peux grandir
- Et si tu grandis, est-ce que tu peux apporter quelque chose à Adrien
- Oui, le plaisir et la liberté
- Et si Adrien reçoit le plaisir et la liberté et que tu grandis, que se passe-t-il pour Tom ?
- Il peut vivre...
On va prendre ça.
Séance suivante
Tom a nettement diminué le jeu. Il a décidé de mettre la console dans une autre pièce, il n’a eu aucun signe de sevrage ou quoi que ce soit. Il révise pour son Bac.
Adrien me dit qu'il l'aide à se concentrer et que pour atteindre ce résultat, il lui donne un objectif et il lui fait oublier tout le reste.
Maintenant, Adrien et Sébastien s'entendent.
Séance suivante
Tom a eu son bac.
Adrien et Sébastien ont collaboré pour permettre ce résultat. Il n'y a plus de dissension. Adrien lui a permis de se détendre et Sébastien de se souvenir de ses cours.
Depuis qu'il a passé le bac, Tom fait un peu plus de musculation, il a perdu 3 kg dans le mois et son IMC est maintenant normal. Il aura perdu 24 kg en 7 mois. Il a repris le jeu video mais de manière plus modérée. Il voit peu de monde, ses copains (il en a peu) ont un job d'été, lui non. Il compte passer les vacances dans la famille de son père.
Les objectifs d'Adrien sont de le détendre et ceux de Sébastien de lui faire travailler son code.
Je trouve que c'est un peu léger pour un ado de son âge et ni Adrien, ni Sébastien n'ont apparemment les moyens de faire plus.
Je suscite donc une autre personnalité dont je veux qu'elle prenne en charge l'ouverture aux autres, la communication et la sociabilisation.
Arrive une nouvelle personnalité, elle apprend à parler en quelques minutes, alors qu’il avait fallu 4 à 5h à Adrien. Cette nouvelle personnalité découvre son corps en commençant par palper et explorer son visage du bout des doigts comme le ferait un aveugle, puis fait quelques mouvements amples avant de s'installer confortablement dans le fauteuil.
Il se présente, il s'appelle Gabriel.
Son visage est mobile, expressif et souriant. Sa voix est correctement modulée, chaude et engageante. Il adopte spontanément une attitude relaxée et détendue. Il n'est pas rigide comme Adrien, ni replié sur lui-même comme Sébastien. Le but de Gabriel est de faire la fête et il semble taillé sur mesure pour aller à la découverte du monde.
Le monde est à toi Gabriel.