Rémi et sa main

Un conte d'Halloween.

Rémi et sa main
Photo by Melchior Damu / Unsplash

Rémi (le prénom est modifié) vient accompagné de sa femme, il a un courrier d'adressage de la part de son médecin généraliste qui me parle de "tremblements".

C'est sa femme qui a insisté pour qu'il voie un hypnothérapeute. Elle me dit que le neurologue qui suit Rémi depuis 1 an est contre et qu'il n'a rien fait pour faciliter les choses.

Rémi vient pour un "tremblement"

En fait de tremblement, c'est une agitation constante. Rémi doit porter une écharpe de contention qui vient bloquer et maintenir son bras immobile contre sa poitrine. Mais si le bras est immobilisé, la main droite reste libre et ne cesse de s'agiter pour tenter de l'agripper, de le pincer, de tirer sur les vêtements, de faire des gestes injurieux.

Rémi me dit qu'il doit garder la contention pendant son sommeil aussi, car sinon, la main lui tire les cheveux, tente de lui crever les yeux et à même tenté de l'étrangler à plusieurs reprises. S'il tente de manger avec la main gauche, la main droite repousse la nourriture. S'il tente de s'habiller, la main droite tire sur les vêtements pour les déchirer et déboutonne ce qu'il est arrivé tant bien que mal à boutonner. Il ne peut ni prévoir ni contrôler les mouvements de la main.

De manière très classique, Rémi parle de "cette" main et de "ce" bras et leur prête des intentions et une volonté. En l'occurrence la volonté de le tuer.

Il n'y a que sa femme Nora (le prénom est modifié) qui arrive à intervenir.

Si elle caresse la main d'une certaine manière, la main s'immobilise et arrête ses agressions. C'est comme ça que Nora peut lui mettre l'écharpe de contention. Elle est la seule à obtenir ce résultat. La main n'a jamais tenté d'agresser Nora. Par contre, d'autres personnes ont pu être agrippées et lors d'un examen la main a même giflé le neurologue.

Rémi qui est droitier ne travaille plus, il a besoin de l'aide d'une infirmière et de sa femme pour les moindres actes de la vie quotidienne. Il a trente ans, il avait un poste prestigieux dans la finance, et était un sportif de haut niveau. Il pratiquait le biathlon, c'est à dire course et tir de précision. Il est maintenant complètement handicapé, incapable de faire quoi que ce soit.

Alien Hand Syndrom

Il s'agit d'un syndrome neurologique que l'on appelle : "alien hand syndrom". En général, cela survient après une section du corps calleux, c'est-à-dire une interruption de la communication entre les deux hémisphères cérébraux. C'est une intervention chirurgicale pratiquée en dernier recours pour des épilepsies graves et résistantes à tout traitement.

Ce n'est pas le cas de Rémi, il n'a eu aucune opération chirurgicale, il n'est pas épileptique et son imagerie cérébrale est normale.

Et donc si la présentation est celle d'un "alien hand syndrom" particulièrement grave, l'étiologie est inexplicable pour le neurologue. Il s'agit vraisemblablement d'un trouble dissociatif, mais comme c'est souvent le cas, le médecin n'envisage absolument pas que le trouble soit d'origine psychologique et poursuit les interventions médicales.

Rémi a donc eu plusieurs injections de toxine botulinique pour paralyser son bras.

Les agressions n'ont cessé que lorsque le bras a été tellement toxiné qu'il pendait comme mort, complètement flasque. Après quelques mois, le temps que la toxine soit éliminée, les agressions ont recommencé avec encore plus de vigueur et de "perversité".

Il voudrait bien continuer ce traitement, mais le toxinologue (un autre neurologue) et Nora refusent, car il y a des conséquences graves à utiliser de telles doses de toxine.

Devant l'échec de la toxine, son neurologue lui a proposé une intervention chirurgicale afin de sectionner les nerfs moteurs du bras pour le paralyser définitivement. Rémi est bien conscient que cela signifie sacrifier son bras droit, mais il ne voit pas d'autres solutions.

Il pense qu'il peut gérer un bras "mort" et retrouver un peu d'autonomie mais pas un bras qui l'agresse en permanence.

Sa femme veut, avant d'en arriver à cette extrémité radicale, tenter autre chose.

L'hypnose comme intervention de la dernière chance

Et donc les voilà, plutôt contre l'avis du neurologue et en dernière extrémité.

Je demande à Rémi comment cela est apparu ? : "Je ne sais pas." C'est la réponse habituelle des patients ayant un trouble dissociatif.

Nora intervient et me dit que d'après elle, ça a commencé après qu'il ait abattu un homme qui s'était introduit dans leur maison à Dubaï pour la violer !

Je regarde Rémi : aucune réaction. La belle indifférence.

Elle poursuit et me raconte qu'elle a eu énormément de chance, car Rémi est rentré plus tôt d'un entrainement et qu'il avait sa carabine avec lui, alors que d'habitude il la laisse au club de tir. Le violeur est mort sur le coup et Rémi est resté choqué pendant toute l'enquête et le procès.

Elle me dit que la justice de Dubaï est particulièrement sévère contre les violeurs et Rémi a été rapidement acquitté. Ils ont quitté le pays peu après. C'est ensuite que la main a commencé à l'attaquer.

Comme c'est absolument habituel dans ce genre de cas, Rémi ne fait aucun lien entre les évènements et son symptôme. Bien, qu'il se rappelle parfaitement la tentative de viol et le fait qu'il ait tiré. Il ne présente aucune amnésie ni flashback d'ailleurs. C'est juste que cela n'a pour lui aucun rapport. Par ailleurs, il décrit factuellement la situation sans émotion.

Pour résumer, il est dans une lutte constante contre "cette" main qui veut le tuer. Cela survient après qu'il ait tué quelqu'un, mais il n'y voit aucun rapport !

Rémi présente un trouble dissociatif

À ce stade, il est clair qu'il ne s'agit pas d'un syndrome post-traumatique, ni d’une pathologie neurologique mais d'une dissociation entre une émotion et un souvenir. En l'occurrence entre la culpabilité et le fait d'avoir tué un homme.

Je décide de l'hypnotiser. Il n'est pas contre, il n'est pas pour non plus. Sa femme est pour.

Il veut donc bien "essayer pour lui faire plaisir."

C'est une première séance, il s'agit juste de mettre en place les prérequis de la thérapie. Je ne m'attends à rien de particulier. Nora me demande si elle peut rester, Rémi n'est encore une fois, ni pour, ni contre.

Je donne mon accord pour qu'elle reste, à la condition qu'elle n'intervienne pas.

Je l'hypnotise

D'habitude (enfin, en ce moment) , j'utilise une lévitation du bras pour fixer l'attention du patient, mais je me dis que dans son cas, cela va juste accroître la concurrence entre les deux perceptions et donc j'opte pour une induction portant sur le relâchement musculaire. Mais ce qui me paraissait une bonne idée entraine une agitation encore plus grande du bras au fur et à mesure que Rémi entre en léthargie.

Maintenant que Rémi est complètement stuporeux, le bras droit se démène comme un anaconda enragé pris dans un piège.

À ce moment précis, Nora intervient et touche la main comme elle en a l'habitude. Les mouvements furieux s'arrêtent.

Je décide de ne pas lui dire que je lui avais donné la consigne de ne pas intervenir.

Maintenant que la main de Rémi est calmée, Nora me dit qu'elle a déjà vu pratiquer l'écriture automatique et me demande si cela ne serait pas possible de le faire avec sa main droite.

Personnellement, je n'aime pas l'écriture automatique, je trouve que c'est trop lent par rapport à la parole automatique et que ça consomme trop de papier. Mais là, Rémi est complètement stuporeux, il bave. Je ne vais rien pouvoir en tirer.

Seule la main s'est manifestée vigoureusement. Autant l'utiliser.

J'utilise l'écriture automatique

Je place un stylo dans la main qui s'en saisit et je lui mets un bloc d'écriture à disposition. Immédiatement la main écrit, sans apprentissage préalable, avec les grosses lettres rondes typiques de l'écriture automatique.

Elle écrit : "SOS" sur toute la page et puis sur plusieurs pages. Au fur et à mesure, les mouvements deviennent plus frénétiques. La main jette les pages après les avoir couvertes de "SOS" et de "HELP", bien que le bras soit toujours entravé par l'écharpe de contention.

Je demande quel est son nom et la main écrit "RÉMI, c'est RÉMI !!" en soulignant plusieurs fois et cette fois en me tendant la page.

Crise au cabinet

Nora tombe en larmes, me dit qu'elle sait que l'homme avec qui elle est venue n'est pas son mari. Depuis Dubaï, il ne se comporte plus comme d'habitude, il est plus froid. Il ne reconnait plus leurs marques d'affection. Il n'y a que la main qui réagissait à ses caresses.

Elle se reprend, me dit que c'est stupide que son mari ne peut pas avoir changé comme cela. Que les possessions n'existent pas. Que ce n'est pas possible que Rémi soit prisonnier, incapable de se manifester autrement que par cette main, pendant qu'un autre vit sa vie à sa place. Que tout cela ne peut pas être réel.

Pendant ce temps, la main continue à écrire qu'elle est Rémi.

Nora me demande si je peux obtenir une preuve qu'il s'agit bien de lui, si je peux demander que la main fasse sa signature. Il en est devenu incapable depuis que la main droite est dissociée.

À ce stade, je ne vois d'inconvénient à rien.

Elle dispose une feuille et je demande à la main de faire la signature de Rémi pour prouver ce qu'elle affirme.

La main s'exécute immédiatement et signe de manière parfaitement fluide la feuille que lui a donné Nora

Elle la prend, la range dans son sac, regarde son mari, me regarde en souriant et me dit : "Cet imbécile de Rémi n'a jamais rien compris. Je l'ai épousé pour son argent. Quand nous étions à Dubaï, il n'aurait jamais du rentrer à ce moment-là et il a tué Lucas, mon amant".

"Rémi ne sait rien de moi, mais dans ma famille nous sommes sorcière de mères en filles. Quand il a tué Lucas, j'ai invoqué son esprit et je lui ai fait posséder le corps de Rémi. Mais, il s'est avéré plus fort que je ne croyais et sans sa main droite nous n'avions pas accès à ses comptes. J'avais besoin qu'il signe la procuration. Grace à vous, je l'ai."

Elle claque dans ses doigts, et dit : "Lucas réveille-toi, c'est fait".

Lucas sort de transe, ouvre les yeux, sourit à Nora et me dit : "demain je passe au bloc et Rémi ne nous gênera plus jamais".

Après leur départ, j'ai trouvé sur la dernière feuille du bloc, le mot que Rémi y avait laissé, dans ce qui est sûrement son ultime message.