Qu'est ce que la transe somnambulique ?

Est-ce un rêve lucide ?

Qu'est ce que la transe somnambulique ?
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La transe somnambulique doit son nom à Puységur qui l'invente car en tant qu'homme des Lumières, il refuse de reconnaitre Victor Race pour ce qu'il est : un possédé.

L’acte de naissance de la transe somnambulique
Le marquis Armand de Puysegur refuse de croire.

1874, Description clinique initiale de la transe somnambulique par Puységur

Les caractéristiques de la transe somnambulique qu'il décrit[1] sont :

  • Sommeil calme initial : "Qu'elle fut ma surprise de voir, cet homme s'endormir paisiblement dans mes bras."
  • Amnésie complète et systématique : "Le lendemain, il ne se souvenait plus de ma visite du soir."
  • Etat hallucinatoire  : "Je le voyais content, imaginant tirer à un prix, danser à une fête, etc."
  • Transe active : "Il parlait, s'occupait tout haut de ses affaires."
  • Docilité : "Lorsque je jugeais ses idées devoir l'affecter de manière désagréable, je les arrêtais [...] Il ne me fallait pas pour cela faire de grands efforts."
  • Insensibilité : "Il leur soutient que faible comme il l'est, pouvant à peine marcher, il lui serait bien impossible d'aller à l'arbre de la fontaine (il y est allé en transe et y est resté 1 h)"
  • Modification de la personnalité : "C'est un paysan, le plus borné du pays", mais "Quand il est en crise, je ne connais rien de plus profond, de plus prudent et de plus clairvoyant" et "mon homme ou, pour mieux dire, mon intelligence, me tranquillise, il m’apprend la conduite que je dois tenir"
  • Lien "paranormal" avec l'opérateur : "Je le faisais danser sur un air qu'en chantant (mentalement), je lui faisais répéter tout haut"

Puységur décrit aussi l'évolution de Victor au cours des transes successives : il devient de plus en plus indépendant et autonome dans la transe.

1819, Faria précise et théorise la transe somnambulique

Le premier à théoriser la transe somnambulique est Faria[2], un prêtre portugais, élève de Puységur. Il est l'inventeur des spectacles de magnétisme et des inductions instantanées. Une évidence pour lui et un retour aux sources pour le magnétisme.

La transe est un phénomène psychologique

De même, le mot "somnambule" sera caractérisé par le mot grec épopte, qui signifie "celui qui voit tout à découvert". Il est question ici de connaitre l’état de l’âme et non du corps.

C'est une déclaration importante, car le somnambulisme, qui a diffusé massivement depuis la description initiale de Puységur, n'est utilisé que pour soigner les corps et jamais les esprits. L'exception est la thérapie du jeune Alexandre Hébert par Puységur[3].

La transe somnambulique n'est pas le somnambulisme parasomniaque[4]

Il n’est pas question de savoir pourquoi l’on marche dans son sommeil, cela n’arrive qu’accidentellement aux époptes (les somnambulistes) et qu'à certains époptes (ceux qui sont à la fois somnambules et somnambulistes).

La transe somnambulique n'est pas un sommeil

Il ne faut pas croire que tous les malades de cette espèce aient besoin de se trouver dans le sommeil pour jouir de ces effets. Ils les éprouvent dans le plein état de veille, pourvu qu'ils aient dormi une seule fois du sommeil lucide.

La transe somnambulique est hallucinatoire par nature

L'intuition, en général, est une jouissance simultanée des fonctions semblables à celles des cinq sens et au-delà, sans entrave d'aucune distance de temps ni de lieux. L'intuition ne remplit ses fonctions que par l'intermédiaire des espèces, c'est-à-dire des images, de la même manière à peu près que les sensations dans l'état naturel de l'homme.

L'intuition pour Faria, c'est le fait d'accéder à un univers illimité de perceptions hallucinatoires, c'est-à-dire à un paysage onirique.

La transe somnambulique n'est pas un rêve lucide

la lucidité en général, est une faculté d'appliquer conséquemment à un but les connaissances intuitives; et elle est à l'intuition ce que la raison est aux connaissances sensitives.

La lucidité, pour Faria, c'est la faculté de penser au moyen des perceptions : la pensée symbolique. Comme la conscience éveillée pense au moyen des sensations. Ce n'est pas la même définition de "lucidité" que dans "rêve lucide", il ne décrit pas le fait d'être conscient de rêver ou de diriger son rêve. Il décrit l'activité de la conscience rêvante.

Paulus et la petite flamme
Hypnothérapie somnambulique d’une phobie

Tout le monde est apte à la transe somnambulique

Le sommeil lucide n’est qu’un état de songes et conséquemment il se fait connaitre pour ce qu’il est à toute personne qui est ... susceptible de songer.

La concentration est la condition unique est suffisante à la transe somnambulique

Sitôt qu'on est apte à la concentration occasionnelle, on est apte aussi à jouir de l’intuition et à maîtriser tout mouvement nécessaire (involontaire) du corps à la volonté du concentrateur.

Faria fait la distinction entre :

  1. la condition nécessaire à la transe : la concentration
  2. les manifestations de la transe : le paysage onirique, les phénomènes psychosomatiques et la docilité à l'égard de l'opérateur.
  3. La lucidité nécessite une condition supplémentaire.
La véritable cause de la transe que la plupart des hypnos ne connaissent pas (mais utilisent sans le savoir).
Il parait que dans l’hypnose, tout est croyance...

1823, Alexandre Bertrand modernise le vocabulaire et rattache la transe somnambulique à son histoire, bien au delà de Puységur

Il est médecin, journaliste, polytechnicien et il est le continuateur de Faria dont il est l'élève via Deleuze.

"Intuition" devient "imagination", c'est-à-dire : « la faculté de recevoir des objets absents, la même impression que s’ils étaient présents.» Il s'agit bien de la même faculté d'halluciner que celle décrite par Faria. Il ne parle pas de souvenirs : de re-présentations, mais bien d'être "impressionné" (au sens de l'impression typographique) par des objets absents.

"Lucidité" devient "extase", il reprend un terme religieux décrivant l'expérience mystique d'être "transporté hors de soi-même", d'être transformé par des "épiphanies" et d'avoir des "révélations". L'extase, ce n'est pas un lieu onirique, c'est la conscience rêvante élaborant sa "pensée" à partir des perceptions hallucinatoires. Ce qu'Henry Corbin nommera l'Imaginal[7].

Les deux formes de la transe somnambulique : une constante de l'histoire humaine

Alexandre Bertrand fait aussi le lien entre toutes les expériences extatiques : les manifestions de la conscience rêvante agissant. On peut les résumer à deux :

  • Le voyage : le travail de la conscience rêvante s'illustre par des transformations du paysage onirique, des passages entre des mondes, des rencontres, des découvertes, des messages . (voyages chamaniques, sorties du corps, vies antérieures, expériences mystiques, contact avec les défunts, les esprits, abréaction, revivification, régression, etc.)
  • La possession : l'interrogation de la conscience rêvante par l'opérateur (transformation de la personnalité due à la désinhibition émotionnelle et cognitive, personnalité fabulée, personnalité alterne, régression en âge, egostate, possession, etc. )

"Voyage" et "Possession" sont les deux types d'expériences de transes rapportées par les ethnologues, qu'elles soient modifiées par des psychédéliques ou non.

1875, Le somnambulisme "provoqué" : le réductionnisme scientifique de Charles Richet

Charles Richet a découvert le magnétisme dans l'adolescence en voyant un spectacle de "Cannelle" un magnétiseur de scène.

Il est interne des hôpitaux de Paris à la Salpêtrière, mais pas chez le neurologue Charcot, il est interne chez Moreau de Tours, l'aliéniste. Il publie en 1875, à l'âge de 25 ans, l'article le plus important sur le somnambulisme[8] qui est à l'origine de l'âge d'or de l'hypnotisme en France.

Il va chercher à catégoriser et rattacher les phénomènes de la transe à des mécanismes physiologiques.

Dans la transe : une conscience désincarnée, mais pas une absence de conscience

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Lorsqu'il interroge ses sujets après la transe, ils rapportent la disparition des sensations corporelles, mais la persistance de leur conscience. On retrouve cette description à l'identique chez Puységur.

Il semble que l’esprit soit absolument dégagé, et que les impressions sourdes et confuses que, dans l’état de veille, nos organes transmettent au sensorium commune, aient absolument disparu.
Plusieurs des malades que j’ai endormies à l’hôpital Beaujon m’assuraient que leurs douleurs avaient disparu, et qu’elles étaient parfaitement heureuses

Cette perte des sensations, c'est l'origine de l'insensibilité lors de la transe (et non, comme on le dit communément, de l'anesthésie) et l'explication du calme ressenti.

A l'époque, les physiologistes ne savent pas distinguer cliniquement entre le sommeil et la transe. Ils découvrent le mécanisme de l'inhibition, mais sont encore loin de faire la différence entre :

  • le sommeil caractérisé par la baisse de la vigilance. Un mécanisme d'origine profonde impliquant le thalamus et le tronc cérébral et diffusant à tout le cerveau.
  • la transe caractérisée par l'inhibition frontale. Un mécanisme superficiel.

C'est pourquoi Richet, lors de ses descriptions cliniques utilise encore la métaphore du sommeil pour parler d'inhibition comportementale, mais parle clairement d'inhibition quand il décrit les mécanismes physiologiques de la transe.

La désinhibition cognitive

Beautiful young woman jumping at the Barbican Centre in London.
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Chez les somnambules, la raison est certainement pervertie, mais leur intelligence est vivement surexcitée. Les conversations qu’on a avec un sujet endormi sont variées et attachantes. Le langage des femmes du peuple est devenu presque élégant : les tournures de phrases sont ingénieuses, les idées ne manquent pas d’élévation.

C'est ce qui transformait Victor, un "paysan niais" en "mon intelligence", en "cet homme qui m'instruit, qui m'éclaire" ou,  "Quand il est en crise, je ne connais rien de plus profond, de plus prudent et de plus clairvoyant."

C'est l'explication de la sensibilité presque télépathique

Sans prétendre le moins du monde qu’elles [les deux femmes qui lui servent de sujets] devinent la pensée des interlocuteurs, j’ai remarqué qu’elles avaient acquis une certaine finesse qui leur permettait de comprendre à demi-mot.

Charles Richet sera toute sa vie, un acteur majeur de la recherche métapsychique : l'étude méthodique et critique des phénomènes merveilleux du somnambulisme.

La désinhibition émotionnelle

A honest look at the pain of mental illness.
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Mais ce qu’il y a de plus frappant, c’est la vivacité étrange de leurs sensations. Ainsi rien n’est plus facile que de les faire pleurer, il suffit de leur parler d’un sujet triste ; de leurs maladies par exemple, ou de la mort d’un de leurs parents : alors elles se mettent à gémir, puis à verser d’abondantes larmes, puis à sangloter, et il n’est pas rare de voir survenir une excitation nerveuse qu’il importe de calmer le plus vite possible en leur présentant des tableaux plus agréables.

Les modifications physiologiques

Nous arrivons maintenant à un autre ordre de phénomènes bien plus nettement accusés que dans le rêve ordinaire. Chacun sait qu'on éprouve dans le sommeil des sensations qui se rapportent aux actions qu'on croit faire : par exemple on a froid, si l'on se croit en hiver, on a chaud, si l'on s'imagine être en été, et ainsi de suite pour presque toutes les sensations.

Il suggestionne en faisant évoquer au patient désinhibé des expériences. Mais, ce n'est pas le même phénomène que les perceptions hallucinatoires générées par la conscience rêvante du sujet.

L'automatisme : en fait la docilité.

Le fait le plus singulier peut-être et en même temps un des plus constamment observés, c’est l’automatisme des sujets endormis. Malgré la surexcitation de leur intellect et la vivacité de leurs sentiments affectifs, ils sont soumis à la volonté des personnes qui les entourent.
Pourquoi il n’est pas judicieux de se référer à Janet
Janet n’est pas un génie injustement oublié par l’Histoire.
Ils font ce qu’on veut, car ils sont devenus incapables de vouloir.

C'est encore une fois l'inhibition qui est la cause du phénomène

En comparant l'état somnambulique à certains phénomènes physiologiques maintenant bien connus, on peut supposer qu'il y a inhibition des parties de l'encéphale qui président à la volonté et à la mémoire.
Les deux types de suggestion qu’un hypno ne doit pas confondre
Il y a une définition faible et une définition forte de “suggestion”

Les changements de personnalités.

La conscience de la personnalité est un phénomène de mémoire. La perte de la conscience de personnalité est un phénomène d'amnésie partielle. Non seulement elles ont [les deux patientes qu'il a choisi de décrire] cette amnésie partielle, mais encore elles peuvent donner a leur moi des formes qui sont différentes des formes réelles; croire par exemple que leur moi est un soldat, un prêtre, une petite fille, un lapin et alors elles s'imaginent exister avec des formes de soldat, de prêtre, de petite fille, de lapin. C'est ce que j'ai appelé plus haut l'objectivation des types. Cela signifie amnésie de la personnalité avec une personnalité nouvelle.

Richet va décrire le phénomène en le nommant : "objectivation des types". Il s'agit simplement de la limitation d'accès à la mémoire autobiographique et la fabulation d'une nouvelle histoire personnelle.

Au lieu de concevoir un type, elles le réalisent, I'objectivent. Ce n'est pas à la façon de I'halluciné qui assiste en spectateur à des images se déroulant devant lui. C'est comme un acteur qui, pris de folie, s'imaginerait que le drame qu'il joue est une réalité, non une fiction, et qu'il a été transformé, de corps et d'âme, dans le personnage qu'il est chargé de jouer.

C'est le mécanisme de la "possession" et il décrit la différence par rapport au "voyage" somnambulique.

L'imagination

Ce que Faria nommait "intuition", Alexandre Bertrand "imagination", il le nomme aussi "imagination".

Tout le monde sait ce qu’est le rêve. [...] Cette faculté de voir des objets qui n’existent pas, et d’agir des scènes qui ne sont pas, se nomme l'imagination. Personne n’aura l’idée d’en contester l’existence ou le pouvoir; tout le monde la connait et la comprend ; eh bien ! on peut expliquer la plupart des phénomènes psychiques du somnambulisme en disant que c’est cette faculté violemment surexcitée qui domine l’intelligence, tout entière et anéantit la raison.

C'est bien l'activité onirique qu'il nomme imagination : "Tout le monde sait ce qu’est le rêve".

Au total, Richet résume la clinique de la transe somnambulique en quatre points.

Si au lieu de prendre les phénomènes dans leur ensemble, nous les étudions séparément et en eux-mêmes, nous voyons qu'ils se ramènent à quatre groupes principaux :
  • hallucinations
  • hyperidéation
  • automatisme
  • abolition de la mémoire (j'en parlerai dans un autre article)

Cependant, la lucidité de Faria, l'extase de Bernard ont disparu.

Historiquement, la mise à l'écart de la lucidité : la fin du merveilleux, était la condition sine qua non pour que l'hypnose soit reconnue par l'Université.

1913, C'est Carl Jung, qui assurera la survie de la transe somnambulique comme manifestation de la conscience rêvante (la lucidité), sous le nom d'imagination active.

1924, Erickson fait ses premiers travaux sur le somnambulisme

Dans "Exploring the Nature of Consciousness and Hypnosis", sur la perception de l'environnement par les somnambulistes. Il constatera que les somnambulistes sont dans une bulle hallucinatoire même quand ils semblent "éveillés", ce sera la cause du conflit avec Clark Hull.

Il découvrira lors de séances mémorables avec Aldous Huxley que l'opérateur est halluciné par le somnambuliste et inclus dans son paysage onirique.

Ce qui confère à l'opérateur une responsabilité toute particulière.

Marchez doucement, car vous marchez sur mes rêves. William Butler Yeats
La transe somnambulique est elle dangereuse ?
Et, pourquoi il faut souhaiter qu’elle le soit

La transe somnambulique, c'est la conscience rêvante sans le sommeil qui l'abrite habituellement, et ce n'est pas un rêve lucide.

En tant qu'opérateur, vous assistez au travail d'une conscience qui opère en manipulant des perceptions hallucinatoires.

La transe somnambulique comme état du rêve sera sans cesse combattue par ceux qui affirment que le patient ne peut pas rêver car il ne dort pas. Avec toutes les preuves à l'appui : absence de paralysie musculaire, EEG de veille et non de sommeil, IRMf de veille, etc.

Effectivement, le sujet en transe somnambulique ne dort pas, il rêve.


Mémoire pour servir à l'histoire et à l'établissement du magnétisme animal, 1784 ↩︎

De La Cause Du Sommeil Lucide, De Faria, 1819 ↩︎

Les Fous, les Insensés, les Maniaques et les Frénétiques ne seraient-ils que des Somnambules désordonnés ?, de Puységur, 1812 ↩︎

C'est pourquoi, je parlerai systématiquement de "somnambulistes" pour nommer les personnes en transe somnambulique et que je réserve le terme "somnambules" aux parasomniaques ↩︎

Traité des hallucinations, Ey, 1973 ↩︎

Traité du somnambulisme, Bertrand Alexandre, 1823. ↩︎

« Mundus imaginalis ou l’imaginaire et l’imaginal » in Cahiers internationaux de symbolisme, Corbin, 1964 ↩︎

Du somnambulisme provoqué, Richet, 1875. ↩︎

Du hachisch et de l’aliénation mentale : études psychologiques, Moreau de Tours, 1845. ↩︎

Initial experiments investigating the nature of hypnosis. ERICKSON, M. H. (1964). The American Journal of Clinical Hypnosis, 7, 152-162. In E. L. Rossi (Ed.), The collected papers of Milton H. Erickson on hypnosis, Vol. 1, 3-17.