Pourquoi il n'est pas judicieux de se référer à Janet si on veut comprendre quelque chose à la conscience (et donc à l'hypnose)

Janet n'est pas un génie injustement oublié par l'Histoire.

Pourquoi il n'est pas judicieux de se référer à Janet si on veut comprendre quelque chose à la conscience (et donc à l'hypnose)
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Janet n'est pas un génie injustement oublié par l'Histoire.

La fin du 19°, c'est l'époque ou la psychologie s'individualise de la philosophie et se constitue comme une discipline scientifique.

Les philosophes ont depuis l'origine une approche "top-down" du fonctionnement de l'esprit et un outil : l'introspection. Cela les a amené à donner un place exclusive à la conscience, ses fonctions et ses contenus : le "moi", le libre arbitre, la volonté, les idées, etc...

Le courant dominant de la philosophie de l'époque : le spiritualisme, considèrent la conscience comme indivisible et source du comportement à travers le "moi" et la volonté. Selon eux, l'être humain est dotée de la conscience, c'est ce qui le caractérise mais, ils n'expliquent rien à propos de la conscience.

Janet est un philosophe qui s'oppose à la psychologie expérimentale.

L'approche des physiologistes, par contre, est de type "bottom-up" et elle aboutit à la notion de "fonction réflexe cérébrale", de "cérébration inconsciente", de "réflexe psychique", d'"automatisme (tout court)", d'habitudes. Tout ces termes décrivent la même chose.

Mais nous ne comprenons plus "réflexe" dans son sens original. Il signifie que l'influx nerveux est "réfléchi", dans le sens de "renvoyé". L'influx nerveux est renvoyé du récepteur sensoriel vers le muscle qu'il contracte, en suivant le trajet des nerfs.
En fait, il s'agit d'une théorie architecturale du fonctionnement du système nerveux. La fonction est encodée par l'organisation des neurones qui conditionne le trajet de l'influx nerveux.

La réflexion de l'influx nerveux est d'abord découverte anatomiquement au niveau de la moelle épinière, mais Thomas Laycock réalise qu'il n'y a pas d'interruption entre la moelle épinière et le cerveau et que donc il doit être organisé de la même manière. C'est à dire que tout le système nerveux repose sur une même architecture neuronale : "les réflexes psychiques" dont l'action constitue la "cérébration inconsciente" qui produit les phénomènes "cérébro-moteurs".

Malheureusement, c'est le terme "idéo-moteur" de Carpenter qui à prévalu mais, il laisse penser qu'une "idée" est à l'origine du mouvement. C'est malheureux, car une "idée" est un phénomène psychologique. Elle est le produit de l'architecture neuronale et les neurones ne pensent pas, ils produisent la pensée.  

Ideo-moteur, c'est une impossibilité logique. Alors que "cérébro-moteur, le terme choisi par Laycock est cohérent.

Avec les découvertes des physiologistes, l'unité et la centralité de la conscience, chères aux philosophes, sont en danger.

Ce que découvre les physiologistes à la fin du 19° siècle, ce sont les réseaux neuronaux et ce qu'ils peuvent faire.

Ils constatent que les réflexes psychiques permettent une activité sophistiquée, complexe, organisée et intelligente dans le sens d'adaptative, mais dénuée de conscience : l'automatisme (tout court).

Nous sommes maintenant assez familier des IA pour savoir qu'elles ont des capacités surhumaines, qu'elles apprennent, s'adaptent, mémorisent mais n'ont pas de conscience.

C'est un choc pour les philosophes d'autant que Thomas Huxley un biologiste anglais, va même jusqu'à décrire la conscience comme un "épiphénomène", c'est à dire un phénomène qui n'a pas d'effet. Il utilisera l'analogie de la fumée de la locomotive, ou de l'ombre du passant, qui toutes deux ne participent en rien au mouvement.

On dirait maintenant que la conscience est aussi nécessaire qu'un vélo à un poisson.

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Au même moment en France, Bernheim popularise les suggestions post-hypnotiques lors desquelles le sujet n'a pas conscience de ce qu'il fait automatiquement.

Enfin, les premières personnalités multiples françaises : Felida X et Louis Vivet, sont décrites par Azam et Bourru & Burot. Et il apparait à tout le monde que leur conscience ou leur mémoire ou leur personnalité (personne ne sait trop), est divisée.

Il s'agit d'une remise en cause radicale de la doctrine spiritualiste de l'unité de la conscience.

C'est une déclaration de guerre pour les spiritualistes et en particulier pour Paul Janet, qui en est la figure institutionnelle. Il va placer et soutenir son neveu Pierre Janet, jusqu'au collège de France pour s'opposer à la psychologie expérimentale défendue en France par Théodule Ribot et faire pièce à Alfred Binet. Ils sont les premiers psychologues.

Pierre Janet est un philosophe qui à fait Médecine pour s'opposer à la psychologie scientifique.

"L'automatisme psychologique" est l'arme qui doit abattre la psychologie expérimentale

La mission du philosophe Pierre Janet est de défendre une théorie que les avancées de la science sont en train de rendre caduque et qui n'y survivra pas.

"L'automatisme psychologique" est sa thèse de philosophie, il s'agit aussi de l'arme contre la psychologie expérimentale.

De manière stratégique, il reconnait l'existence de l'automatisme, c'est à dire la manifestation des réflexes psychiques : la cérébration inconsciente, mais il lui confère "une forme rudimentaire de conscience".

En faisant cela, Pierre Janet attribue de la conscience aux mécanismes qui la créent. Avec lui, les neurones pensent et sont conscients. C'est une inversion de la cause et de ses effets.

Un antécédent : le vitalisme

Pendant un temps (longtemps) la conception des philosophe en biologie était qu'il y avait la matière inerte et la matière vivante et que la matière vivante était douée d'une caractéristique : la vie.

Maintenant ça apparait complètement circulaire et stupide, mais ça a été longtemps un problème.

Jusqu'à ce que les chimistes se rendent compte que la chimie "organique" est une chimie normale (sans vie) mais que c'est le niveau d'organisation que permet cette chimie qui explique le vivant, et il y a des niveaux croissants d'organisation : des molécules de sucre jusqu'aux éco-systèmes.

La conception de la conscience des philosophes spiritualistes et de Janet était tout aussi circulaire et erronée.

Le spiritualisme est pour la psychologie ce que le vitalisme est pour la biologie.

Avec l'intervention de Janet, plus rien n'est compréhensible et cela va enfanter un monstre : l'inconscient psychologique.