Mon patient fait une abréaction

Comment réagir

Mon patient fait une abréaction
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Clément (le prénom est modifié) vient consulter pour une "addiction sexuelle" et il se déclare excessivement jaloux. Cependant, il est clair qu'il ne s'agit pas d'un patient paranoïaque.

Le paranoïaque sait d'une certitude délirante que sa femme le trompe et veut qu'elle avoue. Il l'interroge, l'espionne, la suit, la menace. Il l'agresse elle et ses supposés amants. Il est dominé par sa conviction absolue et rien, jamais, ne peut le convaincre du contraire.

L'anxieux a peur que sa femme le quitte parce qu'il se sent insécure. Et, donc Clément est un anxieux.

Il a une vision péjorative de lui-même. Il est  persuadé que sa femme trouvera forcément quelqu'un de mieux que lui. Il vit donc dans la peur qu'elle le quitte. S'il lui demande où elle va, c'est pour savoir quand elle rentrera, pas pour savoir ce qu'elle va faire, ni qui elle va voir.


De la même manière, ce qu'il appelle son addiction sexuelle et aussi une stratégie de réassurance. Il veut faire l'amour à sa femme le plus souvent possible pour la satisfaire et l'attacher à lui. En fait, c'est elle qui parle d'addiction sexuelle. Il est vraisemblable qu'elle apprécie peu d'être utilisée dans un but de réassurance.

Première séance

C'est une induction standard basée sur la relaxation musculaire et la respiration, elle n'a pas d'autre but que de faire une première expérience de transe, développer des mouvements idéo-moteurs pour le convaincre qu'il est hypnotisé, mettre en place un signaling, et enfin une suggestion post-hypnotique pour permettre une re-induction à mon signal et le travail ultérieur.

Ça se complique

Après quelques minutes, Clément commence à montrer des signes de détresse, il fronce les sourcils, se recroqueville sur son fauteuil, lutte pour ouvrir les yeux, mais n'y arrive pas. Je l'interroge, il dit qu'il a six ans, qu'il est seul, perdu, qu'il est triste et qu'il a peur.

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Il s'exprime de manière très économique en utilisant des mots-phrase, comme : "triste", "seul" ou "peur". Il met une dizaine de secondes entre chaque réponse. C'est typique du comportement de transe d'une personne novice.

Et quand "triste", "seul", "peur", où est Clément ? : Appartement
Et où exactement dans appartement ? : Salon
Et quand "triste" et "seul" et "peur" et "salon", y-a-t-il autre chose ? : Père

La technique d'entretien est particulière, il s'agit de permettre au patient de détailler ce qu'il expérimente et en faisant cela d'en augmenter la définition et l'intensité, ce que beaucoup appellent un approfondissement de la transe. C'est de l'accompagnement au plus près : le mot exact, son intonation, mais sans prise de contrôle.

Cette technique (le clean language) vise aussi à ne pas insérer d'idées par des questions inductrices, mais comme vous allez le constater, cela ne suffit pas à protéger un sujet de la création de faux souvenirs.

Il est nécessaire que le thérapeute prévienne activement les faux souvenirs.

Clément fait une "abréaction".

Smile your life
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La détresse de Clément augmente visiblement, son visage se crispe, il pleure, lutte pour ouvrir les paupières, mais ne le peut pas.

Je m'inquiète un peu, j'aurai préféré une séance tranquille, mais ce n'est pas moi qui décide. Je veux néanmoins, contre mon expérience de thérapeute, interrompre la transe et sortir le patient de là. Il faut croire que je l'aime bien.

Je tente d'interrompre la transe

Je m'adresse directement à lui, je change de ton, ma voix est plus dynamique, je lui enjoins de revenir ici et maintenant. En général, c'est largement suffisant pour interrompre une transe.

Rien ...


Il montre toujours des signes de détresse et ne répond pas à mes consignes. Manifestement, la séance continue et je vais devoir m'adapter.

En fait, si j'avais réussi à interrompre la transe, cela aurait été une erreur et non plus une complication. Une erreur en hypnose est quelque chose qui a des conséquences préjudiciables pour le patient au-delà de la transe.

En l’occurrence en interrompant son expérience j'aurais pu, par exemple, attester qu'il y a quelque chose de dangereux en lui ou qu'il a raison d'éviter les émotions négatives.

La transe somnambulique est elle dangereuse ?
Et, pourquoi il faut souhaiter qu’elle le soit

Le travail du thérapeute n'est pas de transformer la vie du patient en un long fleuve tranquille et de lui épargner toutes les épreuves et les souffrances (ça, c'est la promesse du barman). Il s'agit de l'aider face à ses problèmes.

Rien ne marche, il faut continuer

Et donc, je reprends.

Et qu'est-ce qui se passe quand "père" est là ? : Je suis pas bien
Qu'est ce qu'il faudrait qu'il se passe ? : Partir
Est-ce que tu peux partir ? : Non
Est-ce quelqu'un peux t'aider pour partir ? : Non !
Quelqu'un de la famille ? : Non !
Les voisins ? : Non !
La police ? : Non ! seul !
Et qu'est-ce qu'il faudrait qu'il se passe quand "seul" et "père" ? : Partir loin, pas possible !
Et, quand "partir loin" et "pas possible", y-a-t-il autre chose ? Il pleure et s'agite, Toujours dans la transe. Il gémit d'une voix d'enfant : "Je veux maman."
Est-ce qu'elle peut venir ? : Non, loin
Est-ce que le grand Clément peut venir ? : Oui !
Il se repositionne dans le fauteuil. Sa voix change : "On s'en va !" dit-il de manière autoritaire. Il ouvre les yeux.
La transe vient de se terminer.
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Clément révèle ce qu'il vient de vivre dans la transe

Ses premiers commentaires, après s'être apaisé, sont :

"J'étais conscient. En fait, mon inconscient me montrait ...
En fait, mon père m'a touché sexuellement.
Je me suis vu en train de ....
A genoux, devant son sexe"

Clément ignorait tout, mais il est convaincu

Moi : Est-ce qu'avant la séance, vous aviez connaissance d'avoir été agressé par votre père ? : Non.

Clément : Je partais souvent avec lui au ski. Dans la vision, j'étais à la montagne. Je voyais un balcon avec la montagne enneigée. J'ai cette image-là. C'est quoi que j'ai dans la tête, si j'ai cette image ? Et, l'émotion, c'est bien parce que j'ai un vécu. Si j'ai un vécu, c'est un fait réel.

Clément vient de faire une "abréaction".

De manière typique, il confirme qu'il n'a aucune connaissance de cet épisode, il est juste en train de se baser sur l'expérience de transe.

C'est du raisonnement émotionnel : "si je le ressens, c'est que c'est vrai".

Il est urgent que je le détrompe.

Turning Point and dead end road sign
Photo by Roger Bradshaw / Unsplash

Thérapeute : Ce n'est pas parce que l'émotion est forte que c'est vrai.

Clément : ce n'est pas un souvenir ?
T : Non, dans la transe c'est le contenu émotionnel qui compte, pas le contenu de l’expérience
C : On ne peut pas avoir une émotion si on a pas un vécu
T : Ce que vous avez ressenti c'est d'être seul, sans aide, dominé, il y a un élément en rapport avec votre père et un autre avec la sexualité. La manière dont cela s'habille c'est fonction de vous. C'est une construction de l'imagination, puissante et opératoire.
C : D'accord
T : Ce qui est authentique c'est d'être seul, sans aide. Vous êtes venu, car vous avez peur que votre femme vous abandonne.
C : C'est puissant, ça me plait.

J'en profite pour lui donner quelques techniques cognitivo-comportementales d'exposition en imagination pour sa peur d'être abandonné.

Deuxième séance

Clément : La jalousie, il y en a plus. Le fait que je n'ai plus cette impression vis-à-vis de ma femme, maintenant c'est elle qui est en demande d'affection. Notre situation s'est retournée, c'est positif, c'est génial. Du coup, de voir qu'elle se rapproche plus, j'ai moins cette sensation d'angoisse.

Communication d'influence

Moi : Vous avec vu que vous être très réceptif à l'hypnose, ça va permettre d'aller plus loin et d'avoir des informations plus claires sur ce qui se passe (j'implique que c'etait pas clair auparavant).

Nouvelle induction

Debout face à moi, fixation du regard. Il commence à tituber et à tomber vers moi, droit comme une planche.
un armdrop très léger
décompte

Dans cette transe, tout en restant stable, je vais pouvoir m'adresser à la partie qui est toujours là, qui observe : signe de tête "oui"
Quel est ton nom ? : Marc
Et depuis combien de temps tu es dans la vie de Clément ? : Depuis longtemps
Qu'est-ce qui t'a fait apparaitre dans la vie de Clément ? : Les problèmes avec Laura
Qui est Laura ? : Sa femme
C'est là que tu intervenu, et qu'est-ce qui tu as fait ? : J'ai fais les problèmes Pourquoi ? : Pour l'embêter
Et pourquoi ? : J'étais jaloux
Et ce qu'il a vu la dernière fois, c'était quoi ? : Je lui ai envoyé les images pour le faire souffrir.

(l'enregistreur n'a plus fonctionné à partir de là)

Ghostbuster

Le reste de la séance consistera à découvrir qui est Marc : un fantôme tapi dans la maison de famille puis à le chasser en permettant à Clément de trouver les ressources pour le faire.

Une fois sorti de transe Clément me parlera de Marc, me révélant que c'est son père, du modèle de masculinité toxique qu'il incarnait. Des rapports que son père entretenait avec sa mère, qu'il trompait ouvertement. De comment Marc les a abandonné, etc.

Commentaire de Clément : C'est Marc qui faisait les histoires. Ça ne me manque pas du tout de ne plus le voir, mais je ne pensais pas qu'il était encore là en ce moment.

Man walking towards the opposite direction. Leaving.
Photo by Jornada Produtora / Unsplash

Manifestement Clément à accepté qu'il ne s'agissait pas d'un souvenir d'inceste et cela lui a permis d’accéder à une autre explication : les croyances dysfonctionnelles quant à la relation de couple qu'il avait hérité de sa famille.

Pourquoi ce cas clinique ?

Le but de ce cas clinique est d'illustrer une "abréaction" avant de vous expliquer pourquoi je m'oppose à l'idée qu'il a été victime d'un inceste père-fils alors qu'il vient de le vivre intensément, qu'il en est convaincu et qu'il s'agit d'une expérience spontanée.

Et, pourquoi j'accepte sa deuxième expérience comme véridique alors que je l'ai influencée.

Vous découvrirez dans mon prochain article les raisons de ce choix

Mon patient fait une abréaction (suite)
Qu’est-ce qu’une abréaction ?