Lucie, Rose & Lola

Hypnothérapie d'un trouble dissociatif de l'identité.

Lucie, Rose & Lola
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Pourquoi Lucie vient consulter ?

Lucie, 20 ans est adressée par son neurologue. Elle fait des crises non épileptiques.

Ce sont des crises qui dans son cas, débutent par des mouvements amples des mains, des bras et des jambes. Ces mouvements sont involontaires, ils peuvent survenir à tous moments, qu’elle soit seule ou accompagnée, sans préavis, alors qu’elle est calme, et se généraliser au point qu’elle tombe, perdant parfois connaissance, elle a pu se blesser lors de ces chutes.

Lucie ne comprend pas ces crises, qui la desservent et ne lui apportent que des complications et des souffrances.

Lucie fait des crises non épileptiques

Un diagnostic d'épilepsie a été formellement écarté. Le vidéo-EEG fait pendant une crise est complètement normal. Avec cet examen, le neurologue peut être affirmatif, il s'agit de crises non-épileptiques.

Elle a aussi des épisodes d’amnésie assez étranges et complètement atypiques, car si elle se souvient parfaitement de son enfance, elle n’a plus aucun souvenir après l'âge de 13 ans.

Depuis son enfance, elle a été suivie pour des pathologies aux manifestations très sévères (entres autres, des hémorragies abondantes, des vomissements incoercibles), qui ont mis sa vie en danger mais sont restées complètement mystérieuses, aucun examen n’a permis d’identifier une quelconque maladie et les symptômes ont disparu comme ils étaient apparus.

La "belle indifférence"

Lucie ne comprend rien à ce qui lui arrive, et n'a rien à en dire. Elle "ne sait pas". Son sourire léger et sa détente sont complètement en contradiction avec la gravité de sa situation. Il s’agit d’un symptôme tout à fait typique que l’on appelle « la belle indifférence » une expression remontant à la fin du 19e siècle. C’est exactement comme si Lucie n’avait pas conscience de ce qui lui arrive et racontait des événements survenus à une autre. Elle en oublie d’ailleurs le plus grand nombre.

Première séance.

Elle rentre en transe léthargique immédiatement, sans même attendre. J'ai juste le temps de dire : "je vais vous hypno.... Et c'est fait, et cela vient confirmer sa très grande suggestibilité à l'état de veille.

D'ailleurs, la majeure partie de l'entretien consiste à tenter de la faire revenir à la conscience. Elle replonge en transe léthargique, sans cesse. Ses yeux se ferment, sa conscience s’absente et sa tête retombe sur sa poitrine.

Je reçois la famille en sa présence, pour rassurer, dédramatiser et expliquer. En fait, ils ne sont pas trop inquiets car ils en ont vu d'autres. Lors de l'entretien, la patiente rentre en transe à tout moment, transe lors desquelles, un personnage vient spontanément s'exprimer à travers elle en parlant d'elle à la troisième personne. L'apparition spontanée d'une personnalité alterne signe une transe somnambulique.

Lucie n'a conscience de rien, ne se souvient de rien.

Au total : transes léthargiques et somnambuliques avec apparition spontanée d’une personnalité alternante.

Les personnalités alternantes (ou "alter" pour les américains) sont des personnalités secondaires qui ont la capacité de se manifester d’elles-mêmes et de poursuivre leur propres buts. Lorsqu’elles se manifestent la personnalité principale disparait et ne décrira a posteriori qu’une période de black-out.

Séance suivante

Il y a eu pas mal de crises depuis la dernière fois : des crises non épileptiques, des accès de léthargie et une attaque de panique. A part l’attaque de panique, c’est le quotidien de la patiente. Par ailleurs, elle est toujours aussi sereine. La belle indifférence...

J’hypnotise Lucie et c’est encore plus facile que la première fois et j’invoque la personnalité qui s'était manifestée spontanément lors de la précédente séance. Elle s'appelle "Rose" et a le même âge que Lucie.

Rose veut bien aider et expliquer la situation. Rose parle de Lucie à la troisième personne comme c’est habituel pour une personnalité secondaire et décrit les conflits que Lucie traverse. Lucie n’est pas capable de faire le lien entre ce qu’elle vit et ce qui lui arrive mais Rose elle le peut. D’ailleurs, Rose, explique mieux et plus clairement que Lucie ce qui se passe. Car Rose est presque constamment présente, alors que Lucie a de longues périodes de black-out.

Mais Rose n'a pas grand chose à dire des crises elles-mêmes. Les crises non-épileptiques lui échappent et correspondent à des périodes de black-out pour elle aussi. Il n’y a que l’attaque de panique que Rose peut expliquer. Il y a quelques jours, Lucie est passé près du vide et c’est Rose qui a paniqué. Rose a une phobie des précipices mais Lucie, qui n'en a pas peur, n’avait pas compris ce qui lui arrivait.

On discute et d'un coup ... La main de Rose se crispe et elle se met à pleurer ..

Que se passe-t-il ?

Lola, 4 ans, apparaît et explique qu'elle est en colère et que quand elle est est colère, elle "bouge".

Lola connait Rose et Lucie. Mais aucune autre ne la connait. Il est habituel que la mémoire soit stratifiée dans ce type de cas. La personnalité ayant le moins de black-out étant la plus récemment apparue. C’est comme les poupées russes. Le secret est à l'intérieur de la dernière.

Et donc, c’est Lola la responsable des crises. Elle explique que : « Lorsque Lucie fait comme si tout allait bien, alors que c’est pas vrai. Ça me met en colère, alors je bouge ! »

Lola s'avère un personnage charmant, spontané, séducteur, vif et pétillant. Elle est tout à fait coopérante et nous cherchons des solutions qui lui plaisent, pour que Lucie puisse exprimer sa colère à l'état de veille, de manière constructive.

Entretien suivant.

Tout s'est bien passé depuis la dernière fois. Lucie est maintenant capable de parler longuement de ce qui la met en colère, de ses problèmes et de ses ressentis. Elle n’a plus eu de crise ni de black-out. Comme c’est habituel là aussi, elle n’a pas eu conscience du changement. Elle est simplement devenue capable de faire naturellement ce qu’elle ne savait pas qu’elle ne faisait pas auparavant. A savoir ressentir et exprimer une colère justifiée.

J’invoque Lola : rien.

Rose : rien non plus.

Lila ? : silence.

Lucie sort spontanément de transe et me dit : « il n'y a plus personne ! »

Moralité : il ne faut pas confondre l'imagination et ses productions.

Suivi

J'ai périodiquement des nouvelles de Lucie et depuis 4 ans elle n'a plus eu de crises. Elle va bien.