Laurence et la Mort

Hypnothérapie d'une EMI

Laurence et la Mort
Photo by Marcus Ganahl / Unsplash

Elle vient pour régler un problème banal

J’avais déjà vu cette patiente, venue consulter pour une angoisse de séparation. Elle ne pouvait tout simplement pas supporter de perdre de vue sa fille, bien que par ailleurs elle comprenne parfaitement que son adolescente ait besoin d’autonomie.

L’histoire de cette patiente est un peu particulière, elle a été victime d’une noyade alors qu’elle était enfant. Elle me dit qu’elle s’est noyée car ses parents n'avaient pas veillé sur elle et que c'est pour cela qu'elle a peur de perdre sa fille de vue.

Une thérapie comportementale tout à fait classique avait permis de traiter cette peur.

Elle revient consulter car elle ne se sort pas d’une histoire sentimentale qui ne signifie plus rien pour elle mais qu’elle entretient toujours. Elle se rend bien compte que c’est elle qui maintient cette relation alors que raisonnablement elle devrait arrêter.

Encore une fois, cette femme intelligente et volontaire sait ce qu’elle veut et doit faire mais ne le peut pas.

Ce n'est pas le genre de problème dont je m'occupe habituellement; j'ai pour habitude de réorienter les difficultés sentimentales vers les psychologues. Mais elle en voit déjà un et elle veut faire de l'’hypnose pour comprendre ce qui lui arrive. Elle veut savoir ce que cela signifie « inconsciemment ». C’est une demande fréquente que de rechercher les déterminants d’un comportement que l’on ne comprend pas. Pouvoir comprendre le "pourquoi" d’un comportement permet souvent de redonner un sentiment de maitrise et de reprendre l'initiative et c’est une caractéristique de l'hypnose que de permettre cette découverte, qu’elle soit fondée sur des faits réels, une reconstruction imaginaire ou tous les stades intermédiaires.

La Mort est là : "c'est pas banal"

La séance a lieu, c’est sa troisième séance d’hypnose. Les deux premières lui ont permis d'expérimenter la transe dans de bonnes conditions. Elle a spontanément fait ses adieux à sa mère récemment décédée lors de la deuxième séance. Elle a trouvé les séances agréables mais fondamentalement rien n'a changé.
Je commence par une lévitation puis une catalepsie pour m'assurer qu'elle est en transe et surveiller la stabilité de son état. Je la guide de manière non directive vers une découverte de ce qui justifie ses difficultés actuelles. Il s'agit de suggestions banales à l'aveugle de "renforcement du moi".

Tout se passe apparement correctement, sauf sur la fin ou des larmes commencent à couler sur son visage.

Elle sort d’hypnose en pleurs et je m’enquiers de ce qui s’est passé. Elle me dit avoir été envahie par une présence sombre comme "une fumée très noire qui remplit tout et ça matérialise la Mort" et une voix lui a dit :

  • "On ne t’a pas eu lorsque tu t’es noyée."
  • "On ne t’a pas eu lors de ton opération" (Une péritonite. Elle avait failli mourir)
  • "On ne t’a pas eu à la mort de ta mère" (Elle a été dévastée par le décès de sa mère quelques mois plus tôt)
  • "Mais on va t’avoir."
  • "On vient pour toi ..."
Taking Center Stage
Photo by Mads Schmidt Rasmussen / Unsplash

La patiente me résume ce qu'elle a compris de ce qu'elle a entendu : "Ça fait trois fois qu'on essaye de t'avoir, ça n'a pas fonctionné donc tu vas vivre avec ça tout le temps. Tu vas vivre avec la Mort tout le temps", et elle ajoute : "c'est ce qui se passe depuis mon accident. Comme s'il fallait que je paye quelque chose, que je paye un prix pour être vivante. Qu'il fallait que je m'esquinte avec quelqu'un".

Il n’est pas question que je la laisse repartir ainsi. Ce n’est pas qu’il y ait un danger, mais clairement le travail n’est pas terminé. Je la re-hypnotise mais cette fois dans l'objectif d'obtenir une parole automatique.

A nouveau lévitation, les deux bras sont en suspension, tout le corps est cataleptique, seules les mains sont parcourues de mouvements. Une fois la transe établie, je commence à la questionner. Elle s'exprime par mots-phrase. Les délais pour obtenir les réponses sont longs.

J'utilise le "Clean Language"

Le mode de questionnement que je vais utiliser est très particulier. Il s'agit d'éviter absolument les questions directrices (leading question) pour ne pas influencer la patiente. C'est l'antithèse des techniques suggestives et cela s'appelle le Clean Language. La syntaxe en est très particulière, les justifications à cela dépassent le sujet de cet article. Chaque terme que je vais mettre entre guillemet est un symbole : un objet mental.

J'ai choisi de vous mettre le transcript, pour vous montrer le processus, y compris mes erreurs et hésitations. J'ai toutefois simplifié la syntaxe du Clean qui est plus redondante encore que ce que j'ai écrit et qui, si elle passe parfaitement à l'oral, et absolument impossible à lire.

Quel est ton nom : Mort
Quel est ton but : la prendre !

Les deux premières questions ne sont absolument pas "clean" puisqu'elles impliquent une identité et un but.

C'est après ça que je choisis d'utiliser le Clean car j'estime que, au vu des réponses et de son état cataleptique, je dois procéder avec précautions. Par ailleurs, n'ayant aucune idée a priori de comment je peux faire évoluer cette situation, je décide d'explorer et de faciliter le changement, si changement il doit y avoir, plutôt que de le diriger. Faire explorer (par le patient) et faciliter l'émergence du changement, ce sont précisément les fonctions du Clean.

et "la prendre" et pourquoi : "la prendre" : elle est à moi ! Coup de poing sur la table.
et "la prendre" et qu'est ce qui se passe quand : "la prendre" : récupérer l'enfant
et quel "enfant" que cet "enfant" quand "récupérer enfant" : noyé
et quand récupérer "enfant noyé" alors qu'est ce qui se passe : apaisé

Là, je pense que je fais une erreur, au lieu de progresser vers ce qui se passe après "récupéré enfant noyé " et "apaisé", je repars sur "enfant"

et "récupérer enfant noyé" et "apaisé" et c'est quel "enfant" que cet "enfant" : moi
et quand "enfant noyé", "récupéré", "apaisé" alors qu'est ce qui se passe : calme
et quel genre de "calme" que ce "calme" :  mort
et "calme" et "mort" et qu'est ce qui se passe quand "enfant noyé" et "calme" et "mort" et "apaisé" : retour

J'obtiens la réponse : "enfant noyé" doit faire "retour" dans la mort pour être "apaisé".

Je précise que la réponse ne m'est pas adressée. La patiente dans la transe somnambulique est en train de découvrir la signification de ce qu'elle hallucine. J'oriente seulement son attention sur les symboles qui émergent et se présentent sous forme hallucinatoire. La rigidité de la syntaxe est là pour protéger le patient et m'empêcher de faire des suggestions, car "en comprenant" je pourrai orienter son expérience en dehors de son cadre et ajouter des significations qui ne lui appartiennent pas.

et quel genre de "retour" que ce "retour" : eau (ou haut)
et y a-t-il autre chose à propos de "retour" : .....

Pas de précision, pour le moment "retour" n'est pas suffisamment élaboré ou c'est une impasse. Je reprends une étape avant.

et "retour" et "eau (ou haut)" et c'est quel genre de "eau (ou haut)" quand "retour" : liquide

Je n'avais pas compris le sens de "o" et j'hésitais entre "eau" et "haut". En faisant cela, je l'influençais. C'est maintenant clarifié. Ceci montre la très grande suggestibilité que confère l'état somnambulique.

et quand "retour", "eau", "liquide" alors qu'est ce qui se passe : flotter
et c'est quel genre de "flotter" quand "flotter" et "eau", et "liquide" : Mort
et "flotter" et "eau" et "mort" et y a-t-il autre chose à propos de "mort" quand "flotter" et "eau" et "liquide" : apaisé
et est-ce que "enfant noyé" aime "apaisé" :  oui

Je continue à faire préciser les symboles et je les rapproche de façon à faire évoluer la situation. Ils interagissent selon leur logique propre, je ne peux que proposer.
Nous sommes revenus au point initial mais "o" à été précisé.

et est-ce que "enfant noyé" peut être "apaisé" :  amour
et y a-t-il autre chose à propos de "amour" : sauver
et quand "enfant noyé", "apaisé" et "amour" et "sauvé" alors qu'est ce qui se passe : laisser partir
et quand "amour" et "sauvé" d'ou vient "amour" : autre, maman
et "amour" et "maman" et "sauvé" et "laisser partir" et quand "laisser partir", c'est comme quoi : mourir
et quand "laisser partir"qu'est ce qui se passe ensuite : vide
et quand "vide", c'est où "vide" : en moi
et où exactement en moi : partout
et quand "vide en moi, partout" alors qu'est ce qui se passe : mort
et quand "vide en moi partout" et "mort", qu'est ce que tu aimerais qu'il se passe : que je me tue

Là, c'est un moment de flottement pour moi. Je n'ai aucune idée de où ça va et ce n'est pas la réponse à laquelle je m'attendais (ce qui est plutôt une bonne chose)
Du coup, je loupe l'apparition de "je" que je n'explore pas. On va donc refaire un tour dans la spirale.

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et que "je me tue" et quand "je me tue" alors qu'est ce qui se passe : apaisée
et quand "apaisée" c'est où "apaisée" : flotter
et "flotter" et "apaisée" et quand "apaisée" et "flotter" qu'est ce qui se passe pour vide : parti
et "apaisée", et "flotter" et "vide à l'intérieur parti", c'est comme quoi : mort
et quel genre de "mort" que "mort" quand "apaisée, flotter et vide à l'intérieur parti" : noyée
et quand "apaisée vide à l'intérieur parti". qu'est ce qui se passe pour enfant noyé : léger
et y a t il autre chose à propos de "léger" : ...
et c'est quel genre de "léger" que ce "léger" : flotter
et quand "léger" et "flotter" qu'est ce qui se passe ensuite : partir
et c'est où "partir" quand "partir" : lumière
et quel genre de "lumière" que cette "lumière" : blanche

On sort enfin de la spirale.

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et "lumière blanche" et y a-t-il autre chose à propos de "lumière blanche" : attirer
et "lumière blanche" et "attirer", et quand "lumière blanche" et "attirer" qu'est ce qui se passe ensuite : ramener
et y a-t-il autre chose quand "lumière blanche" et "ramener" : ramener par maman
et c'est quel genre de "ramener" que ce "ramener par maman" quand "lumière blanche" : la vie
et y a-t-il autre chose à propos de "maman" quand "ramener à la vie" et "lumière blanche" : elle aurait du me laisser
mmm

Encore une fois, je suis décontenancé par la réponse (bon signe !), du coup la question suivante n'est pas trop clean.

et "elle aurait du me laisser" ? : partir
et "lumière blanche" et "attirer" et "ramener par maman" et "aurait du laisser partir". Qu'est ce qui se passe quand "lumière blanche" et "attirer" et "laisser partir" : flotter
et quand "flotter", et "laisser partir", qu'est ce qui se passe ensuite : bien
et "bien" et "flotter" et quand "bien" et "flotter" qu'est ce qui se passe pour "lumière blanche" : dedans
et "flotter" et "bien" et "dedans lumière blanche" et y a t il autre chose à propos de "lumière blanche" quand "flotter" et "bien" et "dedans" : elle m'appelle
et, "elle m'appelle" et c'est quel genre d'"appel" que cet "appel" quand elle m'"appelle" : elle veut que je vienne
et qui "appelle" quand "appelle" : la lumière
et "lumière appelle" et "veut que je vienne" et qu'est ce qui se passe ensuite : me tuer
mmm

Je ne comprend rien .. Mais cette fois, je repère le "me" qui est le "je" que j'ai laissé en plan au début.

et quand "me tuer", c'est quel genre de "me" que ce "me" quand "me tuer" : enfant
et "lumière blanche" et "appel" et "enfant" et y a-t-il autre chose à propos de "enfant" quand "lumière blanche appelle" : enfant mort

Aahh, c'est "enfant mort" qui est appelé par "lumière blanche" et qui doit "partir", mais je ne comprend pas le rôle de "maman" qui est associé à "ramené" et "sauvé" mais aussi "laissé partir" et "tuer".

et "lumière blanche appelle enfant mort", et qu'est ce qui se passe pour "enfant mort" quand "lumière blanche appelle" : apaisé
et "enfant mort, apaisé", et "lumière blanche" et qu'est ce qui se passe ensuite : rejoindre maman
et qui "rejoindre maman" : moi
et qui est "moi" : enfant

Ok, elle confirme, c'est bien "enfant mort noyé" qui doit partir dans la "lumière blanche" et "mourir" pour être "bien et apaisé" et "rejoindre maman" (maman qui était vivante quand l'enfant s'est noyée mais qui est morte maintenant)

et "enfant mort rejoindre maman" et quand "enfant mort rejoindre maman" et "lumière blanche" qu'est ce qui se passe ensuite : apaisée.
et "apaisée" et "enfant mort rejoindre maman" et "lumière blanche" et "apaisée" et quand "apaisée" qu'est ce qui se passe ?
...
la patiente sort de transe spontanément

Ses premiers mots sont : "très agréable, très agréable vraiment, c'est ... Je pleure de bonheur".

Puis elle m'explique : "C'est l'expérience de mort que j'ai eu, la lumière, le truc, que j'ai vu mais que j'ai pas raconté, je trouvais que c'est un peu débile" ... "En même temps, je me suis dit ç'est pas si horrible, si c'est ça. Je sais que je n'en ai pas gardé un souvenir affreux quand j'étais petite."

Et enfin l'explication sur le double rôle de la mère :

"J'ai été dans le coma et c'est maman qui me lisait des histoires et un jour elle s'est trompé dans l'histoire et je lui ai dit : "Non tu t'es trompé dans l'histoire" et du coup : hop ! C'est comme ça que je suis sortie du coma" ....

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"C'est vraiment ça, on a pas réussi, c'est bizarre, pourtant ils se sont appliqués mais ça n'a pas fonctionné" ... "Il y avait une partie de mort dedans qui était restée qui avait pas fini son travail d'où ce mode de fonctionnement d'aller vers ce qui est mortifère. Je me sens soulagée bizarrement" ... "ça fait bizarre comme si elle [la Mort] venait chercher quelque chose, vous allez me prendre pour une folle".

On va dire que non, je ne la prend pas pour une folle et que la séance, cette fois, est finie. Ça aura pris une heure.

Séances suivantes

Lors des séances suivantes, elle se séparera sans regret de l'homme avec qui elle était, pour établir une autre relation qui lui conviendra plus.

Quelques semaines après, elle se découvrira une "boule" au sein
Elle ira voir le gyneco en lui disant affirmative : "j'ai un cancer du sein". Réaction du gyneco après examen : "Non, vous êtes trop jeune, vous n'avez pas d'antécédent, rassurez-vous. Une surveillance simple suffira".
Elle restera affirmative et exigera une mammographie, qu'elle obtiendra.
Sur la mammographie : des micro-calcifications. Réaction du radiologue : "Ce n'est pas très marqué, je ne pense pas que ce soit un cancer, vous êtes jeune, il faut juste surveiller. "
Elle réclamera une biopsie et insistera pour l'obtenir.
Finalement, on lui fera une biopsie et le diagnostic tombe : cancer

Elle traversera la radio, chimio et chirurgie sans le moindre effet secondaire, ni la moindre difficulté, jusqu'à être déclarée en rémission complète et guérie.

Il semble que la Mort était effectivement là pour la prendre et que Laurence a finit par se débarrasser de cette partie mortifère en elle.

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