La transe peut-elle être pathologique ?

Connaissez vous les transes pathogènes ?

La transe peut-elle être pathologique ?
Photo by Road Trip with Raj / Unsplash

1) Les pathologies liées à la transe elle-même.

Je vais vite sur la définition de la transe, c'est l'objet d'une formation assez dense que je donne.

Définition scientifique de la transe

La transe est un état d'inactivation totale ou partielle du réseau par défaut caractérisée par une désinhibition comportementale et émotionnelle, une diminution de l’accès à la mémoire autobiographique, une réduction du nombre de données en mémoire de travail, un arrêt de la pensée auto-centrée et du vagabondage de l'esprit, et une insensibilité générale.

Cette définition fait référence à la théorie du contrôle dissocié de Bowers, mais elle est aussi énoncée par Gruzelier.

Le point important est que le défaut d'inhibition (l'incapacité à contrôler un comportement volontaire) est constitutif de l’expérience de transe.

Transes pathologiques dans les classifications psychiatriques

Les classification médicales identifient plusieurs syndromes pathologiques liés à la transe.

Dans la CIM11

Le trouble de transe

Le trouble de transe se caractérise par des états de transe dans lesquels il y a une altération marquée de l’état de conscience de l’individu ou une perte du sens habituel de l’identité personnelle de l’individu au cours desquels l’individu a une conscience restreinte de son environnement immédiat ou une concentration inhabituellement ciblée et sélective sur des stimuli environnementaux ainsi qu’une restriction des mouvements, des postures, et du discours limité à la répétition d’un petit répertoire qui est vécu comme étant hors de son contrôle.

L’état de possession

L’état de possession se caractérise par des états de transe dans lesquels il y a une altération marquée de l’état de conscience de l’individu et où le sens habituel de l’identité personnelle est remplacé par une identité ‘possédante’ externe et où les comportements ou les mouvements de l’individu sont vécus comme étant contrôlés par l’agent possédant.

La fugue dissociative

L’amnésie dissociative avec fugue dissociative se caractérise par toutes les caractéristiques de l’amnésie dissociative, accompagnée de fugue dissociative, c.-à-d., une perte du sens de l’identité personnelle et une fuite soudaine du domicile, du travail ou loin de ses proches pour une longue période (jours ou semaines). Une nouvelle identité peut être supposée.

L'amnésie dissociative est une amnésie autobiographique. Il ne s'agit pas d'une amnésie "traumatique", c'est à dire créée par un événement traumatisant. Dans l’amnésie dissociative, toutes les données de personnalité sont temporairement inaccessibles au patient, réalisant le classique tableau du "voyageur sans bagage", voire plus récemment le cas de piano man. C'est l’accès à la mémoire autobiographique qui ne peut plus être fait volontairement, sans notion de lésion.

Dans le DSM5

Transe dissociative

Transe dissociative : Cette situation est caractérisée par une restriction aiguë ou une perte complète de la conscience de son environnement immédiat, ce qui se manifeste par un manque profond de réactivité ou une insensibilité aux stimuli environnementaux. Ce manque de réactivité peut être accompagné par des comportements stéréotypés mineurs (p. ex. mouvements des doigts) dont la personne n’est pas consciente ou qu’elle ne peut pas contrôler, ainsi que par des paralysies ou une perte de connaissance transitoire. La transe dissociative ne fait pas partie des pratiques religieuses ou culturelles collectives généralement admises.

2) Les pathologies liées à un contenu de transe mal compris.

Il s'agit essentiellement des faux souvenirs et je vous avais déjà écrit un article qui illustrait la dangerosité des contenus de transe, lorsqu'ils sont pris pour des souvenirs et alors qu'il s'agit d'une activité de type onirique.

La transe somnambulique est elle dangereuse ?
Et, pourquoi il faut souhaiter qu’elle le soit

J'ai repris et détaillé ce point dans le podcast de Manu Winter.

Interviewé par Manu Winter
La transe somnambulique, les faux souvenirs, les abréactions.

j'ai insisté sur la nécessité de corriger immédiatement le sujet lorsqu'il confond une experience de transe au contenu symbolique avec un souvenir.

Mon patient fait une abréaction
Comment réagir

et

Mon patient fait une abréaction (suite)
L’abréaction, ce n’est pas ce que vous croyez.

3) Les pathologies dues à une suggestion accidentelle lors d'une transe.

A - La définition historique de "suggestion"

Janet :

"c'est un commandement qui une fois compris s'impose au sujet et qu'il accomplit hors de son consentement"

Et, il ne faut pas se méprendre sur la notion de commandement. L'hétéro-suggestion n'est pas l'essentiel, la perte de la capacité de contrôle est la caractéristique principale.

Toujours Janet :

"Nombre de suggestion ont comme point de départ la parole humaine, l'affirmation d'une volonté humaine. Ce caractère social de certaines suggestion tout important qu'il me paraisse, ne me semble pas devoir passer avant les autres caractères que je viens de signaler, le développement complet et le développement mécanique de la tendance évoquée. (1910)

Je vous rappelle la définition de Weitzenhoffer  de 1974 :

"L’involontarité est ce qui distingue une suggestion d'une instruction"

Un article sur les deux définitions de "suggestions" et les ambiguïtés que cela entraîne.

Les deux types de suggestion qu’un hypno ne doit pas confondre
Il y a une définition faible et une définition forte de “suggestion”

B - La notion scientifique de dissociation

Sur le plan scientifique, la notion de dissociation a été clivée en "détachement" et "compartimentalisation" par Cardena puis Holmes.

  • Le "détachement" correspond à un symptôme émotionnel : la dépersonnalisation/déréalisation.
  • La "compartimentalisation" est définie comme : "les processus qui sont habituellement sous contrôle et qui sont normalement influencés par l'acte de volition deviennent partiellement ou complètement hors de contrôle de la volition."

Vous remarquerez que "compartimentalisation" et "suggestion" dans le sens de Janet et Weitzenhoffer sont identiques.

Circonstances de la compartimentalisation

  • Sur instruction, après création d'un état de transe (ce que nous faisons quand nous hypnotisons), c'est transitoire.
  • Spontanément (la "compartimentalisation" n'est pas une réaction émotionnelle, c'est le "détachement" qui est lié à la réaction traumatique)
  • Suite à un entraînement à la désinhibition (l'écriture automatique, par exemple)

C - Les pathologies dues à des suggestions (compartimentalisations) anarchiques.

Trouble dissociatif à symptômes neurologiques

Trouble dissociatif à symptômes neurologiques sont caractérisé par la présence de symptômes moteurs, sensoriels, ou cognitifs qui provoquent une discontinuité involontaire de l’intégration normale des fonctions motrices, sensorielles, ou cognitives et qui ne sont pas compatibles avec une maladie identifiée du système nerveux, un autre trouble mental ou comportemental, ou une autre affection médicale. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d'un autre trouble dissociatif et ne sont pas dus aux effets d'une substance ou d'un médicament sur le système nerveux central, y compris les effets d’un sevrage, ou un trouble veille-sommeil.

La "discontinuité involontaire dans l'intégration des fonction motrices", c'est la compartimentalisation, ou l'involontarité au sens de Janet et Weitzenhoffer.

Évidemment, le TDI authentique

Comment reconnaitre le Trouble Dissociatif de l’Identité
Tous les TDI ne sont pas des TDI

D - Les pathologies dues à un entraînement à la compartimentalisation

Allan Kardec (1869) dans son livre des médiums, cite 3 risques de la pratique de l'écriture automatique intensive pour devenir "médium".

1) L'obsession : "l'obsession est dans la ténacité de l'Esprit dont on ne peut se débarrasser".

"l'Esprit obsesseur poursuit quelquefois à tout instant de ses propos grossiers et obscènes [le médium]"

Ce que décrit Allan Kardec correspond à un envahissement par des hallucinations auditives et cela n'a rien à voir avec nos modernes TOC.

2) La fascination : "Le médium fasciné ne croit pas être trompé ; l'Esprit a l'art de lui inspirer une confiance aveugle qui l'empêche de voir la supercherie et de comprendre l'absurdité de ce qu'il écrit, alors même qu'elle saute aux yeux de tout le monde".

Cela correspond au développement de croyances quasi-délirantes soutenues par des hallucinations ou des experiences oniriques (Abduction, les croyances new age, spirites, ésotériques basées sur des experiences de transe faites par le sujet).

3) La subjugation : "La subjugation est une étreinte qui paralyse la volonté de celui qui la subit, et le fait agir malgré lui. Il est, en un mot, sous un véritable joug."

Ce qu'il décrit, c'est la perte du contrôle volontaire de son comportement, c'est à dire un trouble dissociatif.

Pour terminer un exemple récent de pathologie liée à l'entrainement à la compartimentalisation.

J'ai trouvé sur le web, une personne qui décrit son expérience.

Il a commencé par pratiquer le dessin automatique de manière intensive‌‌

Au cours du temps, et cela bien avant ma décompensation, j’ai  activement recherché un contact avec des Êtres spirituels ; j’ai consulté plusieurs médiums qui pouvaient « transmettre des messages venus d’un autre plan ». Mes premiers essais de contacts ne furent pas concluants, rien ne semblait se passer ; puis à force de persévérance, je suis parvenu à réaliser « des dessins transmis ». Je posais un crayon sur une feuille blanche et ma main se mettait en marche de manière totalement automatique ; les premières esquisses furent plutôt chaotiques, puis, avec l’exercice, elles devinrent plus figuratives, le sens de ce qui était dessiné « m’apparaissait » en terminant les figures. Cette démarche avait quelque chose de fascinant ; le style changeais en fonction des êtres qui semblaient être à l’origine des tableaux.

Résultat :

Je me suis mis à entendre des voix et j’ai perdu la capacité de stopper ces flux qui m’envahissaient.
Il a fallu que je sois agressé en continu par des voix et cela  pendant plus de trente heures, pour que j’en arrive à penser que l’hôpital pouvait être une solution.

Ceci correspond précisément à l'état d'obsession décrit par Allan Kardec‌‌ et aux conditions qui le créaient à l'époque des spirites.

L'évolution du patient est allé en s’aggravant avec envahissement par des hallucinations de tous ordres, et des idées délirantes, ceci correspond plus ou moins à l'état de fascination décrit par Allan Kardec‌‌, l'ancienne psychose hystérique de Claude.

Son témoignage

Le fait que des séances de Reiki l'aient aidé, démontre qu'il ne s’agissait pas d'une maladie schizophrénique. Ce n'est pas l'apparence du symptôme mais la suggestibilité du symptome qui fait le diagnostic. Les symptomes de la schizophrènie ne sont ni suggestibles ni influençables.

Pourquoi Johann Gassner ne doit pas être oublié par les hypno
Les bonnes idées ne devraient jamais disparaitre.

Mais des troubles dissociatifs sévères peuvent être pris pour des états psychotiques.

En conclusion

Il existe des expériences spontanées de transe connues des psychiatres, des états de possession, d'hallucinations, de réduction extrême du champs de la conscience, d'amnésie autobriographique ainsi que des pathologies qui sont le résultat de suggestions anarchiques ou d'experiences faites en transe et mal comprises par le sujet ou son thérapeute.