Gaelle, Iris & le clown

Ça commence par un email d’un éducateur de l’ASE qui veut me parler d’une patiente que je vais recevoir bientôt.

En général, quand on commence à recevoir des appels et des mails de gens qui veulent vous expliquer le cas avant de recevoir le patient, c’est qu’il y a un loup.

Première séance

La patiente Gaelle 40 ans (le prénom est modifiè), se présente avec son mari. Charmante, souriante, détendue, tout va bien pour elle.

Elle et sa famille sont suivies par l’ASE (Aide Sociale à L'Enfance). Commentaire de Gaelle : «Ce sont des fonctionnaires, jamais à l’heure, s’ils croient que je n’ai que ça à faire.» La PMI (Protection maternelle et Infantile) : «Eux ça va, ils me comprennent.» le CMP (Centre médico-Psychologique) : «Des incompétents qui servent à rien.» Une quirielle de psychiatres avec qui ça se passe mal, invariablement. Les assistantes sociales de la mairie, du département, de la région, : « Elles sont complètement burn-outées, de toutes façons, elles servent à rien.» La psychologue scolaire «Une incapable», le juge aux affaires familiales «Il n’a jamais eu d’enfants, ça se voit tout de suite», de multiples médecins pour autant de pathologies bizarres et sévères. D’ailleurs, elle sort de l’hôpital où elle vient d’être opérée pour un problème que personne ne comprend et qu’elle ne devrait pas avoir. Elle a mal partout.

Elle a déjà été hospitalisée en psychiatrie « Ils n’ont rien compris, j’ai bien fait d’arrêter les traitements que ces fous m’ont donné. »

Elle voit des psychiatres depuis l’âge de 10 ans, elle en a 40.

Et, pourquoi est-elle suivie par tout ce qui existe sur la Terre de médico-psycho-socio-judiciaire ?

Oh, vraiment rien de grave : «Ils disent que je suis violente avec les enfants et mon mari...» Le tout avec un grand sourire, d’un naturel parfait.

C’est le moment que le mari choisit pour dire : « Vous savez, tous les soirs, à la même heure, elle s’endort et quand elle se réveille, c’est plus elle et elle a 7 ans »

« Ben oui, et comme elle ne me reconnait pas. Parce qu’à cet âge, on ne se connaissaient pas, elle va se cacher dans les WC et il faut que je lui passe sa mère, au téléphone, pour qu’elle lui dise de ne pas avoir peur de moi et de sortir. »

La patiente continue à sourire tranquillement, pas concernée : la belle indifférence.

Deuxième séance

Induction (1.2.3 pouf, c’est fait) : Transe somnambulique directe.

Une sous-personnalité se manifeste. Il s'agit d'Iris, 21 ans. Elle est d'emblée constituée avec un comportement non verbal et une attitude spécifique.

Apparement, il y a un léger problème avec un clown tueur. Je demande à Iris si elle veux bien faire ce qu’il faut pour que l’invocation du clown tueur se passe bien. (Un clown tueur, quand même.. on ne sait jamais)

Allô le clown tueur

Les mains de Gaelle se crispent en griffes et raclent mon bureau, son visage se déforme en un rictus méprisant, elle pousse un rire sardonique et m’apostrophe d’une voix vulgaire : « et qu’est ce qu’il me veut celui-là ». C’est l’arrivée théâtrale et assez réussie du clown tueur de « Ça ». Il parade, se vante et révèle que c’est trop drôle de la faire souffrir et quand, en plus, il peut martyriser les enfants, c’est double bonus. Et là, en ce moment, il lui colle une migraine terrible.

• Et pourquoi vous faites ça ? Ben, pour rigoler, parce que c’est trop fun.
• Et, qu’est ce que vous voulez ? Je veux lui faire déguster un max, elle est trop bête.

Bon, on tourne en rond.

Je rappelle Iris, qui retient le clown, mais qui ne peut rien faire de plus. Elle a déjà donné un vélo à la patiente pour que, dans ses rêves, elle puisse s’échapper. Ça énerve bien le clown qui ne peut pas l’attraper avec ses grandes chaussures, et ça a permis à Gaelle de ne plus faire de cauchemars et de ne plus se réveiller en panique avec le visage hallucinatoire du clown hilare la narguant.

Bon, Iris peut quand même arrêter la migraine et les douleurs de l’opération chirurgicale parce que c’est le clown qui en est responsable.

Troisième séance

Depuis la dernière fois, la patiente eu un RDV très important mais, elle ne se souvient pas de tout, elle a eu un black-out.

J’appelle Iris pour savoir ce qui à pu se passer. En fait, c’est elle qui est spontanément intervenue en mettant la patiente de coté et qui a réussit à obtenir ce qu'il fallait. Iris a fait le job mais la clef du problème, c’est toujours le méchant.

J’invoque le clown …

Arrivée du clown : les griffes, le rire sardonique, la voix, le rictus et les remarques vulgaires et manifestement il aime trop ça. Bref, après les provocations d’usage, il finit par dire qu’il est le seul à ne pas se soucier des conséquences et que lui peut dire ce que Gaelle ne peut pas dire, et qu’elle a besoin d’une soupape pour relâcher la pression. Mais, Iris veut toujours le mettre dans une boite et ça il ne veut pas.

Et donc, c’est la guerre entre le clown et Iris.

J’appelle Iris qui a écouté, un peu comme on écoute aux portes, et qui trouve que c’est intéressant. Elle est d’accord pour ne plus chercher à mettre le clown dans une boite, à la condition qu’il prévienne lorsqu’il faut relâcher la pression et qu’il le fasse sans que personne n’en souffre.

Ça paraît raisonnable. Je re-invoque le clown. Beaucoup moins théâtral et agressif maintenant. Il a écouté aussi et il est d’accord.

Ok, on a un contrat

Je sors Gaelle de sa transe. Elle n'a aucune idée de ce qui s'est passé.

Quatrième séance

Je reçois Gaelle et son mari. C'est un peu fun la vie à la maison car quand elle est fatiguée, Iris vient prendre le relai et discute avec le mari. Il a ainsi appris que c'est une princesse égyptienne, qu'elle a une soeur jumelle, etc..

Je m'inquiète des conséquences que ces discussions avec Iris peuvent avoir. Chaque question induit une réponse et façonne un peu plus l’alter qu’est Iris.

En tous cas, il n'y a plus eu de violence mais Gaelle s'est fait mal (un faux mouvement, une vieille blessure) et elle me dit qu'elle a dans la tête Iris qui engueule le clown pour rupture de contrat caractérisée.

Bon, faut aller voir tout de suite

Allo Iris

Elle arrive, un peu falote et terne. Elle en veut au clown de faire du mal à madame, alors qu'elle a respecté le contrat et n'a plus cherché à le mettre en boite.

Bon...

Allo le clown

Il arrive, les mains restent aimablement posées sur les accoudoirs, la voix et douce, il n'y a aucune provocation. Son maquillage de clown a coulé et apparait dessous le visage idéalisé de la patiente avec une larme sur la joue à cause de toutes les souffrances qu'elle a enduré dans sa vie.

D'ailleurs le clown révèle son nom, maintenant que le masque est tombé. Elle s'appelle Gaya et elle a 30 ans ..

Gaya se révèle sensible, attachante, très attentive et au fait de la vie émotionnelle de la patiente. Elle est intervenue une fois parce que le bébé avait besoin d'être changé pendant la nuit et qu'elle ne voulait pas réveiller madame qui avait besoin de se reposer. C'est Gaya qui est allée le changer pendant le sommeil de madame.

Elle confirme que les douleurs ce n'est pas elle, mais que Gaelle a une ancienne blessure de sport et qu'elle a fait un faux mouvement et qu'au contraire, elle essaye de l'aider.

Gaya respecte sa part de marché, même si Iris reste méfiante.

Gaya n’a lâché les chevaux qu’une seule fois et c'était contre la belle-famille qui ne respectait pas le travail et le dévouement de madame. Elle a remis les choses au clair.

Gaelle s'est mise à écrire un blog sur lequel elle raconte sa vie, ses émotions et Gaya l'aide en l'isolant du reste du monde pour qu'elle puisse se concentrer et ça l'aide à extérioriser sa colère. Gaelle développe aussi des projets professionnels.

Gaya me dit que pour Iris pas la peine de s'inquiéter parce qu'après chaque discussion avec le mari, elle fait un reset.

C'est pratique ..

Retour à Iris, qui n'a pas fait de reset avec moi (je suis flatté) qui a écouté et qui s'étonne du changement du clown en Gaya et qui ne s'attendait pas à ça du tout.

Bref, tout le monde est d'accord pour collaborer.

Cinquième séance

Gaelle et sa famille, traversent une période extrêmement difficile.

Iris est intervenue une fois pendant quelques minutes, pour dire au mari, qu’elles (Iris et Gaya) se retiraient car Gaelle avait besoin de toute son énergie pour affronter ce qui se passe.

Gaelle affronte effectivement les difficultés de manière efficace et adaptée. Alors qu’il y a quelques semaines, dans des circonstances similaires mais moins difficiles, elle avaient eu des black-out pendant lesquels Iris avait pris la main.

Gaelle ne présente plus aucun symptôme dissociatif.

Elle me dit qu’elle reçoit épisodiquement des messages du genre : « calme toi » mais rien de plus et qu’il n’y a plus de « bagarre dans sa tête ».

Je ne l’ai pas hypnotisée car je souhaite que l’intégration des différents alters persiste et se consolide.

On parle d’intégration quand les personnalités alternantes (les alters) n’apparaissent plus spontanément comme pour Justine.

On parle de fusion quand les personnalités alternes disparaissent comme dans le cas de Lucie.

Suivi

C'était il y a quelques années, je continue à la voir une ou deux fois par an. A ma connaissance, il n'y a plus jamais eu de manifestation dissociative.