Exemple de travail en dissociation partielle et différence avec la dissociation complète ou somnambulique

La différence entre états du moi et personnalité somnambulique.

Exemple de travail en dissociation partielle et différence avec la dissociation complète ou somnambulique
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Laura est hypocondriaque

Laura (le prénom est modifié) vient consulter pour une hypocondrie. Chaque fois qu'elle a des palpitations elle est persuadée qu'elle va mourir.

Elle a bien vu plusieurs cardiologues, ils l'ont écouté, examiné, on fait des ECG, des holters. Ils ont enregistré les palpitations et ont conclu preuves en mains qu'il s'agissait d'extra-systoles bénignes sans gravité aucune : un phénomène banal.

Elle a été rassurée quelques semaines.

Puis, elle a recommencé à paniquer à la moindre palpitation. Elle pouvait bien se répéter ce que le cardiologue lui avait affirmé, mais toujours la pensée : "et si cette fois, c'est la bonne ! ", ce qu'il faut comprendre comme : "et si cette fois, c'est un arrêt cardiaque" venait l'affoler.

Crossed hands
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Et donc retour chez le cardiologue.

D'un coté, elle sait que : "c'est ridicule" et de l'autre, : "et si cette fois, c'est la bonne ! "

C'est la définition de l'hypocondrie. une interprétation en termes de catastrophe des sensations corporelles et une inefficacité des réassurances médicales. Il s'agit d'une pathologie anxieuse très chronique et invalidante.

En ce qui concerne Laura, les maladies qu'elle craint ont pu changer (rupture d’anévrysme, embolie pulmonaire, cancer divers et variés, sclérose en plaques, maladie de Charcot, maladie d'Alzheimer, etc..), mais au total ça fait 20 ans que ça dure.

La thérapie cognitivo-comportementale n'a rien donné avec elle

Pour un cognitivo-comportementaliste, c'est une pensée automatique, conséquence de la croyance que tout ce qui est inhabituel dans le fonctionnement du corps est forcement pathologique. La prise en charge consiste à montrer au patient quelle erreur de raisonnement il fait, lui permettre d'évaluer la crédibilité du danger, supprimer les stratégies d'évitement cognitif afin d'être à la fois capable de critiquer la pensée et diminuer sa charge émotionnelle.

Ce type de prise en charge, dont l'efficacité est validée, ne s'adresse qu'au conscient, il s'agit de persuasion.

Laura et moi avons déjà fait ce travail, mais rien à faire, dès qu'elle a des palpitations : "et si cette fois, c'est la bonne ! " ...

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Je change de stratégie

Je décide de lui demander à "elle" qui sait que c'est ridicule ce qu'elle voudrait dire à cette "elle" qui pense que "et si cette fois, c'est la bonne ! "

Elle me regarde d'un oeil torve, pas vraiment convaincue de l'intérêt de cette démarche.
Elle dit donc d'une voix ferme, en me regardant droit dans les yeux : "je veux que tu arrêtes de m'embêter."
A ma question : et qu'est ce qu'elle vous répond ? Elle me dit, comme une évidence : "Ben rien, c'est moi ! Qu'est-ce que vous voulez qui se passe ?"

Solitude du psychiatre ...

Je reste silencieux, j'attends, comme si quelque chose devait arriver. Quelques secondes passent et soudain, interloquée, elle me dit : "Je n'entend rien, mais j'ai l'impression qu'elle ne veut pas répondre et qu'elle est vexée !"

Aah !

"C'est comme un petit enfant qui boude et qui veut plus répondre"

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Et de quoi aurait besoin cet enfant qui boude ? : De temps.
Et quand suffisamment de temps à passé, alors qu'est ce qui se passe ? : Elle est un peu plus ouverte, mais je sens une résistance.
Très bien, et pourquoi elle boude ? : Parce qu'elle fait ça pour me protéger.
Et, elle fait ça pour vous protéger. Et est-ce que vous pourriez la remercier ?
Cette fois-ci, elle ferme les yeux et dit : "je te remercie de me protéger, mais il faut que tu arrêtes"
Et ?? : Elle écoute pas !
Est-ce que vous pourriez lui demander quel âge elle pense que vous avez ?
Surprise de la patiente qui me dit : "moi je la vois comme une enfant de 8 ans, et je me vois adulte".
Et elle, quel âge vous donne-t-elle ? Laura me répond : "elle dit : 8 ans"
Pouvez-vous lui dire votre âge véritable ? Elle referme les yeux et dit : "je n'ai pas 8 ans, j'ai 38 ans"
Et qu'est ce qui se passe ? : Ça à changé, elle joue et elle ne s'intéresse plus à moi.

Résultat

J'ai eu des nouvelles de Laura 8 mois après cette séance, elle n'a plus eu de peurs.

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Même si cela y ressemble, l'entretien que j'ai eu avec Laura n'est pas du clean langage, car j'ai une stratégie. Je connais les états-du-moi protecteurs et leur logique. Je sais où je vais.

Le clean langage, au contraire, est une procédure exploratoire qui ne présuppose rien.

Explications

C'est un travail en transe même si l'induction parait très modeste. Elle à consisté à lui demander de focaliser son attention sur un élément de son expérience consciente. En l’occurrence : "celle qui pense que cette fois-ci c'est la bonne".

La focalisation de l'attention sur son expérience interne constitue l'induction

La véritable cause de la transe que la plupart des hypnos ne connaissent pas (mais utilisent sans le savoir).
Il parait que dans l’hypnose, tout est croyance...

Focaliser l'attention sur la réalité intérieure du patient est un classique de l'induction.

Dans Erickson et Rossi, « Two Level Communication and the Microdynamics of Trance and Suggestion » paru en 1976

La transe est un état dans lequel il y a une réduction des foyers d'attention du patient à quelques réalités intérieures ; la conscience a été fixée et concentrée sur un cadre d'attention relativement étroit plutôt que d'être diffusée sur une large zone comme dans l'orientation plus typique de la réalité générale de notre conscience quotidienne habituelle.

Par ailleurs, la consigne un peu baroque à pu la déstabiliser.

L'autre-en-soi

Lui demander de s'adresser à "celle qui.." repose sur une conception d'emblée sociale de la conscience.

Une conception qui considère que le "moi", n'est pas un sujet qui commente le monde à son seul usage, enfermé et solitaire dans sa boite crânienne, mais un sujet en constante conversation avec d"autres-en-soi". Des perceptions d'individus particuliers ou génériques mais aussi de groupes. Perceptions construites à partir d'experiences et de croyances.

Et, cette conversation, comme toute conversation, est source d'émotions, de décision, de prises de positions.

Ce n'est pas une transe partielle

On reconnait l'existence de la transe à son effet : l'augmentation de la suggestibilité c'est à dire la diminution de la capacité d'inhibition. Ce que Weitzenhoffer appelait l'effet typique de la suggestion.

Les deux types de suggestion qu’un hypno ne doit pas confondre
Il y a une définition faible et une définition forte de “suggestion”

Laura est surprise et clairement elle n'est pas à l'initiative des réponses. Elles sont non intentionnelles et elle ne les contrôle pas. Il ne s'agit pas d'un effort volontaire comme lors d'une visualisation mais bien d'une réponse qui lui échappe et l'étonne.

Et même si elle est parfaitement éveillée, l'effet caractéristique de la transe est bien présent et non à moitié-présent. Il ne s'agit pas d'une transe partielle. Il s'agit d'une transe habituelle mais sur un patient vigilant.

Au fur et à mesure qu'elle focalise son attention sur cet "autre-en-soi", pour continuer sa conversation, le réseau attentionnel est activé par une tâche qui n'en est pas une. Il inhibe la partie frontale du réseau par défaut. Le relâchement du contrôle frontal sur la partie postérieure sensori-motrice du cerveau permet que la perception se précise, s'enrichisse, devienne hallucinatoire mais conformément à la tâche prescrite.

Un dialogue pseudo-hallucinatoire avec l'autre-en-soi peut avoir lieu et permet l'émergence d'une information nouvelle à travers des prises de position.

Paulus est un autre cas de travail en dissociation partielle montrant l'évolution de l'hallucination au cours d'une transe vigile mais sans évocation d'"autres-en-soi"

Paulus et la petite flamme
Hypnothérapie somnambulique d’une phobie

Il s'agit d'un état de co-conscience ou de dissociation partielle. L'identité de Lucie restant dominante

Dans le cas de Laura, la partie apparemment dissociée, c'est à dire l'autre-en-soi avec qui elle converse est dans sa conscience. Elle peut la décrire et interagir avec.

C'est une grande différence avec les patients complètement dissociés, les "TDI", car chez eux, ce qui est dissocié est absent de leur conscience. Ils ne perçoivent la partie dissociée qu'à travers ses effets, sous la forme d'hallucinations agressives, de perte d'agentivité ou de black-out en cas de switch.

Par ailleurs, l'identité de Laura est clairement dominante et occupe l'essentiel du champ de la conscience.

La thérapie des états-du-moi (des autres-en-soi) est un analogue des "mains de Rossi"

Le processus est très similaire à la technique des "mains de Rossi" : une transe vigile matérialisée par un comportement involontaire, la conscience du patient restant dominante.

Simplement dans le cas de Laura, tout est mentalisé et les interactions sont plus riches. On parle de thérapie des états-du-moi, cela permet des interventions stratégiques mieux guidées comme rassurer un autre-en-soi surprotecteur et donc faire que le patient arrête de recevoir des alarmes angoissantes.

Un point crucial chez un patient anxieux.

La thérapie avec des personnalités somnambuliques

Habituellement, je travaille à l'inverse avec une (ou des) personnalité(s) somnambulique(s) dominante(s)

Je suscite une personnalité somnambulique et je la rends dominante ou, dans le cas de patients présentant un TDI complet, j'invoque la personnalité somnambulique déjà constituée qui prend immédiatement la dominance, comme dans le cas de Lucie.

Lucie, Rose & Lola
Hypnothérapie d’un cas de trouble dissociatif de l’identité.

C'est la dissociation qui a une "profondeur", une extension en fait, et non la transe

Vintage voltmeter
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Si je demande à une personnalité somnambulique dominante ce que fait le patient lorsqu'elle est présente, j'obtiens plusieurs réponses mais toujours les mêmes :

  1. "Il écoute."
    Il s'agit là aussi de co-conscience, de dissociation partielle ou d'hémi-somnambulisme comme dans le cas de Lucie, mais dans ce cas, c'est la personnalité somnambulique qui occupe l'essentiel du champ de la conscience.
  2. "Il rêve."
    C'est une réponse plus rare selon mon expérience. Il est intéressant de découvrir l'objet du rêve. Je suis alors en relation avec la personnalité somnambulique qui me décrit le rêve du patient et qui le modifie selon mes consignes. Encore de la co-conscience mais la personnalité habituelle n'est plus consciente de l'environnement.
  3. "Il dort."
    Il s'agit maintenant de conscience alternante, de dissociation complète ou de somnambulisme complet.
  4. "Il n'est plus là." ou "Je ne le sens plus. "
    Encore une fois, il s'agit de conscience alternante, de dissociation complète ou de somnambulisme complet mais la personnalité somnambulique occupe la totalité du champs de conscience ce qui lui confère une grande autonomie.

à partir du second stade : "il rêve", le patient n'a plus que des souvenirs parcellaires de la séance
à partir du troisième stade : "il dort", il est amnésique du contenu de la séance.